A quelques jours du second tour des régionales, avec un Front national en tête dans six régions, je vous propose un retour vers le futur. La Présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal nous projette en 2017, un FN au pouvoir et dont la base symbolique et pratique prend ses racines… le 13 Décembre 2015.

Je m’étais toujours promis de ne pas écrire sur le FN. Je considère que nous autres journalistes et analystes n’avons que trop parlé de ce parti, trop insisté sur le concept de dédiabolisation, trop peu évoqué d’autres « alternatives » politiques à l’alternance Gauche-Droite. Mais ça c’était avant. Le lait de l’Extrême Droite a pris corps, un fromage bien fait et ferme dont l’odeur risque de nous suivre pendant quelques années.

C’est ce que les auteurs de La présidente tentent de montrer dans leur bande dessinée sortie le 12 Novembre, la veille des attentats de Paris. A travers une fiction tout ce qu’il y a de plus vraisemblable et parsemée d’éclats historiques, nos deux auteurs nous emmènent dans l’univers d’un Front national qui aurait, enfin, pris le pouvoir.

L’horizon est proche et ce scénario m’avait déjà traversé l’esprit. Pourtant, toujours, je me rassurais à coup de barrage républicain, de vote contestataire, de prise de conscience. Uppercut en pleine poitrine après le premier tour du 6 Décembre. En tête dans six régions, sur treize - soit la moitié de la France – au total, il semble évident que l’Extrême Droite parviendra à subtiliser au moins trois régions. Le Nord et le PACA, avec une bonne avance des blondes Le Pen (Marine et Marion, MM’s au goût amer) ainsi que le Grand-Est où Jean-Pierre Masseret refusant tout retrait de liste renforce du même coup l’avance de Florian Phillipot (FN). Et encore, ceci est un pronostic des plus « optimiste », plus rien ne m’étonne. Me voilà donc face à mes espoirs perdus, une grande vague de désillusion fait céder le barrage de mes angoisses. Le Front national au pouvoir : c’est dimanche ?

Je ne peux accepter ce constat et, dans mes recherches je tombe sur cette BD prémonitoire où Marine Le Pen se retrouve présidente en 2017. Tour de force exceptionnel de nos deux auteurs qui tentent, preuves et programme à l’appui, d’imaginer l’impensable dont il nous faut, plus que jamais, tirer les enseignements. Retour sur quelques projections tirés de leur ouvrage ainsi que de l’actualité politique.

Composer avec les politiques

On imagine toujours que le Front national ne parviendrait pas à structurer une équipe, or, l’un des premiers sujet de cette fiction consiste à imaginer comment politiciens et intellectuels se rallieraient rapidement au pouvoir en place. Avec une grande facilité, aidée par ses lieutenants de toujours, Marine parvient à mettre en place un gouvernement, se dote d’une majorité à l’Assemblée et la voilà parée à réformer à tour de bras.

Le contexte politique actuel corrobore ce scénario. Pour n’en citer qu’un, il suffit de voir comment Nicolas Sarkozy s’est déplacé à la droite de la droite de son Parti. Du ralliement des voix d’extrême droite au partenariat, il ne semble y avoir qu’un pas. Mais attention, la droitisation de la Droite n’est pas exclusivement imputable à ses ténors. En effet, les attentats comme l’apparente fatalité du libéralisme économique ont poussé la Gauche française de tradition socialiste à empiéter sur le terrain politique de la Droite. En poussant la porte sécuritaire et libérale, le trio Hollande-Valls-Macron incite les Républicains à jouer un jeu dangereux de droitisation pour se démarquer de positionnements qui sont habituellement les leurs.

Voilà comment un Front National pourrait, en 2017, à la fois composer avec une classe politique de plus en plus poussé à droite face à une Gauche impuissante car meurtrie par son inefficacité à gérer la crise. Si j’insiste particulièrement sur cette dimension, comme la BD d’ailleurs, c’est qu’un gouvernement fort et une majorité à l’Assemblée sont nécessaires à l’exercice effectif du pouvoir, et ne semblent, vu la tendance, pas impossibles.

Je ne m’aventurerai pas plus sur un terrain effrayant de tergiversations politiciennes dont nous percevons déjà, au quotidien les travers. Rentrons plus avant dans le scénario de nos auteurs. Quelques aspects d’une ère Le Pen en 2017.

Fini l’Euro, soyons Francs

L’une des premières mesures de notre chère présidente serait, bien sûr, un retour au franc, et donc une sortie de l’Europe économique. Prise de distance avec l’Allemagne, dévaluation progressive, inflation, baisse des exportations, désinvestissement global des entreprises étrangères et j’en passe. Après quelques années, le chômage exploserait (encore) et le niveau de vie des français serait en chute constante. Nous voilà donc avec une nouvelle crise, nationale cette fois. Fini la France comme puissance mondiale, bienvenue dans l’isolationnisme à la Le Pen. Tout cela pour rembourser une dette qui est à 70% liée au droit étranger et devrait donc être rendue en euros. Bilan : un surcoût de quelques 300 milliards d’euros de la dette publique et toujours autant de comptes à rendre à l’international.

Et tout ceci ne met même pas en exergue la destruction de 70 ans d’Union européenne dont nous avons été les fers de lance et instigateurs. Abandonner l’euro c’est abandonner l’Europe et son potentiel comme puissance internationale. Nous devons très certainement remettre à plat les institutions européennes, leur fonctionnement économique et surtout politique, mais cela doit-il passer par un retour aux monnaies nationales ? Je ne le crois pas.

La France expulse

C’est l’aspect le plus médiatisé du programme du front national, le plus controversé mais aussi celui qui joue le plus sur la détresse de citoyens en difficulté. Les immigrés, jugés responsables, par le FN, du chômage, seront de moins en moins accueillis (de 200 000 à 10 000 en 5 ans selon le programme du Front national). Au programme, non-renouvellement des titres de séjour, expulsions à la pelle et suppression du droit du sol ce qui parachèverait l’annihilation d’une France terre d’accueil et de mixité.

On ne peut bien sûr pas comprendre cette politique sans avoir en tête l’exaltation, déjà en cours, de la menace terroriste et l’accentuation, à l’extrême droite de l’amalgame entre Islam et islamisme. Pour parfaire ces manœuvres, renforcer les pouvoirs de police et de contrôle, Marine le Pen aurait besoin de l’Etat d’urgence, proclamé, en fiction, en plein milieu du mandat présidentiel. Sur ce point, nos auteurs n’avaient pas anticipé les récents attentats et l’accélération de ces mesures, prises par un gouvernement socialiste. Un élément de moins à imputer au front national…

Médias et Culture muselés

Je finirai par préciser qu’afin de maximiser sa prise de pouvoir, la culture populaire ainsi que les médias d’opposition ne recevraient plus de subventions - on en a déjà certaines preuves avec les propos sur les financements aux LGBT ou encore le retrait de local de la Ligue des droits de l’Homme à Mantes la ville. Prise de contrôle de TF1, laisser-faire d’une grève de Radio-France et surveillance généralisée de tout média indépendant. Arrestation de rappeurs, soi-disant porteurs de discours islamistes, antisystèmes ou simplement irrespectueux, et j’en passe.

Un système dénué de toute retransmission médiatique critique ou d’opposition culturelle n’aurait aucun problème à légitimer ses actions. Et le contrôle de toute cette tranche de la population se ferait, encore une fois, sous prétexte de menace sécuritaire, chape de plomb dont nous posons déjà, aujourd’hui, les bases.

Une nouvelle politique internationale

Au lendemain des élections, La France sortirait de l’OTAN, ce qui ne me dérange pas dans l’absolu. Sauf que cette prise de distance avec les Etats-Unis se couplerait aussi avec un rapprochement de la Russie dont le FN est déjà si proche (je vous invite à vous renseigner sur les financements du parti par des oligarques russes, révélés fin 2014). Cette alliance nous mettrait à dos nombre de nos partenaires européens et supposeraient des prises de position radicales à l’international.

De même, l’isolationnisme économique nous inciterait à nous éloigner de la Chine, principal concurrent à une production national. A cela s’ajouterait un désintérêt pour la nébuleuse francophone, en particulier africaine, bien sûr lié à des questions migratoires. Autrement dit, une France qui se séparerait de ses partenaires historiques, repliée sur elle-même et dépendante de collaborations douteuses.

Bienvenue dans l’extrémisme démocratique

Voilà ce qui nous attend si continuons sur cette voie. Nous sommes en voie d’asseoir au pouvoir, par nos votes ou leur absence, une classe politicienne extrémiste qui ne semble, en plus, pas pouvoir résoudre le seul enjeu légitime de leur programme : la crise économique.

Sachez que nos deux auteurs ne dépeignent pas le pire scénario. Ils se forcent à un certain réalisme, éludent à dessein l’optique révolutionnaire et misent sur un Front national « mesuré ». Ils nous relatent certes la prise de pouvoir d’un parti d’extrême droite mais qui parvient parfaitement à jouer avec les institutions en place, la révolution numérique et les alliances partisanes. Un parti qui sait comment étouffer, légalement, la culture et les médias. Un parti qui trouve dans l’immigration et la menace terroriste un parfait bouc-émissaire aux malheurs de son pays. En bref, un parti démocratiquement élu.

Nous n’en sommes pas encore là mais, dimanche dernier, les chiffres ont parlé. Le FN est, de nouveau (après les élections européennes de 2014), le premier parti de France. Le FN peut potentiellement contrôler six de nos régions. Marine le Pen se donne la possibilité d’une vitrine nationale, bien plus parlante que celle, européenne, qui désintéresse ses chers électeurs. J’espère réellement qu’une région Front national révèlera, d’ici 2017, la multitude de ses lacunes, l’irréalisme de ses idées, l’immoralité de ses propositions. Mais, si ce n’était pas le cas ? Et si la banalisation s’accentuait jusqu’aux présidentielles ?

C’est peut-être le plus effrayant dans tout cela. L’horizon politique proposé par Durpaire et Boudjellal n’a rien de surréaliste, il semble, au contraire, très vraisemblable.

Un choix ça commence par un vote

Je ne vous révèlerai pas l’ensemble des pronostics de nos deux auteurs, je vous laisse pour cela lire leur BD qui raconte, avec beaucoup moins de lourdeur, les conséquences de nos choix politiques.

Car, finalement, il s’agit bien de nos choix. Nous, électeurs et citoyens, choisissons nos élus, certes à travers une gamme assez restreinte et critiquable de politiciens mais néanmoins démocratiques. Nous sommes le moteur de cette grande machine étatique qui, malgré ses défauts, nous fournit les outils de sa propre mutation. Il suffit de les saisir. Les auteurs de La Présidente vous annonce : « vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas », moi j’irai plus loin : vous ne pourrez pas dire que vous ne pouviez pas.

Voici mon invitation à quelques jours du second tour. Et, ne nous voilons pas la face, je ne m’adresse pas aux électeurs du Front national, ils ne liront très certainement jamais ces lignes et je pense ma position trop abrupte pour s’instiller dans leur raisonnement. Mon adresse est à vous républicains, socialistes, écologistes, frontistes, abstentionnistes, white voters (je n’ai pas trouvé mieux). Vous ne pouvez-vous offusquer des résultats d’élections qui appellent votre engagement. Que nous dis cette bande dessinée si ce n’est que le futur n’est pas encore écrit. Il est entre nos mains, il est dans nos bulletins, il se fait par les urnes, par la création de listes indépendantes du jeu des partis, par l’intérêt pour les programmes politiques et leur contestation. Avec 50% d’abstention/vote blanc, c’est seulement 15% des français qui ont voté pour le Front national, preuve en est que la France n’adhère pas encore à ses valeurs. Je suis aussi un déçu du socialisme, je ne partage pas la politique des Républicains mais je crois en la Citoyenneté. Et son premier pas, c’est dimanche 13 décembre alors attention, à l’FN papillon.

(Ref. La Présidente, François Durpaire et Farid Boudjellal, Ed. Les arènes BD)

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