Partie 1 - « Louis C.K : I’m a piece of shit ! »* Lenny Bruce, Bill Hicks, Richard Pryor, Steve Martin, ces grands noms du stand-up US ne vous disent peut être rien tandis que les dernières pointures en vogue, Louis C.K. et Amy Schumer en tête, n’ont quant à eux pas hésité à conquérir la France ces dernières années (l’influence avouée de Louis C.K. sur nombre de « youtubeurs » français notamment). Avant la sortie de « Trainwreck » (« Crazy Amy » en France) le 18 novembre prochain, film écrit par Amy Schumer et réalisé par Judd Apatow, revenons sur cinq figures centrales du stand-up américain actuel pour mettre en lumière un art trop peu connu et respecté en France. L’humour est aux États-Unis représenté par le terme « comedy » qui regroupe bien plus que la seule pratique du stand-up. Cet art est en effet d’abord l’affaire des bars, des « open-mic » où les « comedians » peuvent avec beaucoup de chance et de persévérance, faire leur chemin jusqu’aux plateaux télé, les fameux « TV specials » d’HBO par exemple où faire partie du pôle écriture d’un talk-show (Conan, Fallon, Kimmel) et même avoir leur propre série. Ce terme de comedy contient donc un réseau éminemment plus vaste que celui de l’humour comme il est entendu en France. Ces multiples plate-formes d’expression, de la scène à la télévision, des bars miteux à Hollywood, permettent aux comedians de développer leur personnalité sans aucune retenue. Car c’est bien de cela que nous allons parler ici, de personnalité et même d’intimité car sous le vernis des blagues bien construites, sous l’apparat des exagérations humoristiques, résident des personnalités uniques qui font souvent naître le rire des souffrances les plus profondes. Quelque part, le stand-up est la plus ancienne des formes d’art, avant de dessiner, avant d’écrire, l’homme s’exprimait par son corps, ses gestes et les sons de sa voix. C’est aujourd’hui surtout l’apanage des hommes politiques qui montent sur scène pour parler au monde mais la scène des comedians est autrement plus violente. Devant un public souvent réticent, le comedian doit prendre possession de la salle avec assurance et surtout, avec authenticité. Il n’y a rien de pire que de ne pas paraître vrai, que de réciter son texte, de surjouer un rôle et d’appuyer ses blagues. Le stand-up est l’art de la sincérité, car même si les comedians ont comme les acteurs, une personnalité publique et une privée, le stand-up est le lieu d’une confusion passionnante entre les deux. Aucun autre art ne permet à ses protagonistes de se présenter eux-même comme le centre d’intérêt d’un divertissement, de constituer en soi l’œuvre d’art. Leur vie, leur parcours, leurs peurs, leurs obsessions deviennent ainsi les motifs d’une performance artistique vivante où chaque plate-forme est une nouvelle occasion de faire vivre cette intimité exposée (d’une simple interview télé à un show d’une heure devant une salle comble). Le stand-up nous donne à voir des vies authentiques, des déchéances sublimes où rire et pleurer ne sont plus vraiment des activités distinctes. « GO DEEPER »* Commençons donc notre voyage par le comedian le plus renommé de ces dix dernières années, Louis C.K. qui commence tout juste à faire son chemin en France. Aujourd’hui riche et célèbre, C.K. sort d’une galère qui dura plus de quinze ans, apanage habituel de la plupart des comiques (dont certains, malgré la reconnaissance, continuent à vivre avec des revenus très mesurés). D’un autre côté, et Louis C.K. l’avoue sans atour, une longue période semble souvent nécessaire pour parfaire son humour, sa présence sur scène et sa maîtrise du public. Pour C.K., ces années fondatrices sont évidemment marquées par l’héritage de George Carlin, figure quasi paternelle de tous les humoristes alternatifs actuels, un héritage double dans le cas de C.K. comme il le raconte dans son sublime hommage à son maître lors d’un cérémonial en son honneur. « Quand tu jettes tes blagues sur des chiens et des aéroports, qu’est ce qui te reste ? Tu peux qu’aller plus profond en toi. Commencer à parler de tes émotions et de qui tu es. Et puis tu fais ces blagues et qu’est ce qui reste ? Tu dois aller plus profond et donc tu commences à penser à tes peurs et tes cauchemars et à faire des blagues la dessus et puis tu les jettes. ». « GO DEEPER » devient le salut de l’artiste qui comprend qu’il fera la différence en allant chercher ses sujets au fond de lui-même au lieu de se reposer sur les lieux communs du stand-up : « Ma femme et moi ne pouvons plus faire l’amour parce qu’on a un bébé et c’est un putain de connard. » Dès cette sentence lancée plus par désespoir que par véritable sens comique, le destin de C.K. est tracé. Il préférera dorénavant toujours une réaction estomaquée qu’un rire timide et c’est bien là tout l’intérêt du « GO DEEPER », d’aller plus profond, plus loin et faire naître le rire des lieux les plus improbables (en l’occurrence ici, rire d’un père qui insulte sa propre fille,). « It’s all those silly things »* Après quinze années de galère, C.K. comprend qu’il doit aller plus loin, qu’il doit parler de lui, de sa vie, il doit s’impliquer dans sa performance. Et pourtant, C.K. ne va pas seulement retenir cela de George Carlin : « Je me souviens de mon premier rire d’adulte, je regardais George Carlin au Saturday Night Live où il disait : Que font les chiens pendant leur jour de repos ? Ils ne peuvent pas se reposer, c’est leur job. Et quelque chose se passa et je ne pouvais plus m’arrêter de rire. ». C’est amusant de voir qu’une blague si innocente ait pu autant marquer un comique aussi radical que C.K. mais en fin de compte, cela révèle de l’importance de l’absurde dans son humour et surtout de son attrait pour les « silly things », ces choses un peu stupides auxquelles on pense tous. Un sketch de Carlin est à mettre en évidence pour comprendre ce que Louis C.K. retiendra de cela : « Ces petites choses qu’on a en commun, ces petits moments universels qu’on partage chacun de notre côté, les choses qui font qu’on est tous les mêmes, elles sont si petites qu’on en parle quasiment jamais. » C’est l’idée que dans ces petites choses un peu stupides, dans nos comportements un peu absurdes, réside une vérité quasi universelle. De cette idée, Louis C.K. construira toute sa ligne directrice mêlant humour d’observation et opinions personnelles. Avec son physique d’américain moyen, père, marié, puis divorcé, ses sujets préférés autour de sa famille, de son comportement irresponsable et stupide, résonnent facilement avec beaucoup. Comme il le rappelle, la comédie c’est une exagération, dans n’importe quel sketch, il y aura une exagération. C.K. en use pour transcender ses sujets si banals et accentuer le pitoyable de son existence et donc de nos existences : Au lieu de capitaliser sur le potentiel commun de ses sujets, le « tout le monde se retrouve dans cette histoire » à la manière d’un Gad Elmaleh et son fameux sketch de l’australopithèque bourré, C.K. ajoute un pitoyable qui désactive le plaisir direct de se reconnaître soi-même, il ne glorifie pas ce qu’on fait tous mais tente de toucher à quelque chose d’encore plus universel. Ce n’est plus « on est comme ça et c’est drôle » mais « la vie est comme ça et elle est drôle ». C.K. veut nous faire rire de nous même, nous faire rire de ce qui fait de nous une espèce aussi incohérente et futile. « I’m a piece of shit ! »* Parce que Louis C.K. c’est avant tout ça, la dépréciation à l’extrême. De son rapport chaotique à la bouffe à son corps jusqu’aux observations sans concession de nos comportements les plus absurdes. Une dépréciation, un pathétique dont la seule issue est le rire tellement l’abysse semble profond et pourtant si quotidien. L’un de ses plus célèbres sketches, nommé « The saddest thing in America » (« La chose la plus triste de toute l’Amérique ») fait référence à la pire branlette jamais exécutée, de la main de sa femme avec qui il n’a plus de rapport depuis longtemps. Irrésistiblement drôle, horriblement triste et annonciateur de son divorce à venir. Elle est bien là la déchéance sublime, une déchéance quotidienne, le pitoyable d’une vie rangée, on est bien dans la performance artistique vivante. « Girls vs boys » est l’exemple parfait où l’observation de ses deux filles et du petit garçon de sa sœur lui permet de tirer une leçon hilarante sur les adultes en général. En observant quelque chose de simple et commun, C.K. en exagère les contours pour faire naître une vérité universelle. Les « silly things » de George Carlin, celles qui nous rapprochent tous ensemble lui permettent ainsi d’accéder à une véritable vision du monde. Le « GO DEEPER » est ainsi toujours en jeu, d’une observation simple, C.K. va deeper pour en venir à quelque chose d’universel. C.K. brave par ailleurs l’une des plus grandes difficultés du stand-up, parvenir à captiver une salle en ne les brossant pas dans le bon sens, C.K. est égoïste, obsédé et tout sauf « likeable ». Comme dira Marc Maron, qui sera l’objet d’un futur article : « I dare the audience to like me » (« Je défie le public de m’apprécier. »). Et C.K. se complaît avec plaisir dans cette mouvance, jouant avec une habileté désarmante de sa capacité à faire s’identifier le public pour venir ensuite le faire réfléchir sur lui-même notamment avec « Of course but maybe », un sketch qui vient astucieusement jouer avec les morales de chacun. C.K. mêle l’humour d’observation avec une approche si personnelle que ses albums deviennent de véritables témoignages de l’avancée de sa vie intime (on passe ainsi de sketches sur son mariage usé dans l’album « Shameless » en 2007 à son célibat heureux dans « Hilarious » en 2011). D’une vision du monde unique, ces spectacles forment bout à bout le récit d’une vie. Comme cela sera vrai pour les cinq comedians que nous découvrirons dans notre voyage, l’humour sera toujours une porte d’entrée vers la personnalité la plus intime de leur créateur et C.K. en est l’étendard le plus évident tant les quelques vidéos qui peuplent cet article donnent déjà le sentiment de tout connaître de la vie de l’homme. Pour moi, les plus grands sont ceux qui nous font rire de la vie elle même, qui par un sortilège étrange, nous rappellent à notre mort certaine pour nous donner envie de rire face à elle. Ceux qui au lieu d’énumérer « ces petites choses de la vie », les saisissent fermement pour nous dire ce qu’elles signifient vraiment et quelque part nous rappeler à nos déchéances sublimes. Avec « Louie », son show pour FX, Louis C.K. revient à ses premiers amours. En effet, l’artiste réalisa au début de sa carrière quelques courts-métrages expérimentaux (et même un film avec Chris Rock sans succès). Sa série présente une version de lui quelque peu altérée (d’où le passage de Louis à Louie), dans des récits souvent absurdes influencés autant par une certaine scène européenne que par Lynch (la première étant souvent citée, le second faisant un savoureux caméo dans la série). Aujourd’hui, C.K. profite de sa renommée pour se livrer tout entier (son intervention déchirante chez Conan) et pour faire grincer des dents (son monologue pour SNL sur la pédophilie : « Si un pédophile est prêt à aller en prison pour ça, c’est que violer des petits enfants doit être génial »). Il balance son dernier spectacle sur internet, en vente au prix que le souhaite l’acheteur et insurge le public des talk-shows à ne pas regarder sa propre série. Là où le monsieur pourrait se reposer sur sa célébrité acquise, Louis C.K. se fait au contraire plus vrai, plus direct, plus généreux même. On entrevoit ses nouveaux défis, en particulier en tant que comédien. Il était d’ailleurs amusant d’attester de ses progrès en tant qu’acteur dans « American Hustle », le chef d’œuvre de David O. Russel dans lequel sa première apparition est hésitante et bancale pour le voir beaucoup plus serein et incarné dans la suite du film. En tout cas, la très récente bande annonce de « Trumbo », projet porté par Bryan Cranston (« Breaking Bad »), laisse entrevoir une interprétation parfaitement assurée de C.K. Pour fermer la boucle, on peut regarder d’un œil amusé les premières secondes de « The secret life of pets », un film d’animation à sortir où Louis C.K. donne sa voix à un chien dont on va connaître les activités secrètes… et peut être même ce qu’un chien fait pendant son jour de repos. * « Louis C.K. : Je suis une merde ! » * « Vas plus profond. » * « C’est toutes ces choses un peu stupides. » Partager :Tweet 2 Réponses « DES BARS MITEUX À HOLLYWOOD, LA DÉCHÉANCE SUBLIME DU STAND-UP AMÉRICAIN » | SEUL CONTRE TOUS 31/08/2015 […] Retrouvez la première partie de mon papier sur le stand-up US en cliquant sur l’image ou ce l… […] Répondre Dee 20/10/2015 Super article, où peut-on trouver la suite ? Répondre Laisser un commentaire Annuler la réponse Votre adresse e-mail ne sera pas publié.CommentaireNom* Email* Site Web Oui, ajoutez moi à votre liste de diffusion. Prévenez-moi de tous les nouveaux commentaires par e-mail. Prévenez-moi de tous les nouveaux articles par email.
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