Personnage solaire d’un obscur paysage « basketballistique » féminin-français, égérie glamour d’un sport viril, couverte d’or européen et d’argent olympique, Emilie Gomis se raconte dans une interview/portrait en toute honnêteté. Retour sur sa carrière de joueuse et sa vie de femme. PS : Jo’ Gomis n’est pas son frère ! ************* Comment ça a commencé pour toi ? Je suis arrivée à Evreux à l’âge de trois ans (originaire du Sénégal). Même si mes parents retournent en Guinée tous les deux ans, je n’ai jamais eu la chance d’y aller, et le jour où j’y retournerai, je veux vraiment pouvoir contribuer à quelque chose là bas. Depuis quelques mois d’ailleurs, j’ai une association qui s’appelle « Futur au Présent » qui aide les enfants de la rue à Ziguinchor à trouver un toit, à s’éduquer, etc… Ma mère me parle tout le temps en Manjak, mais je lui réponds en français. Malheureusement, je suis complètement française, je ne connais pas beaucoup de choses de mon pays d’origine. Mon père à découvert la France, grâce au Karaté, et il a voulu que ses enfants grandissent ici. Il a donc économisé pendant dix ans, travaillant comme cireur de chaussures pour tous nous ramener en France ; il n’a jamais su ni lire ni écrire, et j’admire son courage. La meilleure façon de les remercier, ça serait de retourner là bas en voyage avec eux. Et le basket, comment ça a commencé ? J’ai commencé le basket à l’âge de sept ou huit ans dans la rue, sur un terrain de basket juste derrière là où j’habitais, dans le quartier de la Madeleine. Je jouais toujours avec les garçons, car c’était eux qui occupaient les terrains la plupart du temps. Mon père savait aussi que le sport me structurerait. Quand j’ai commencé en club à 9 ans, j’ai eu du mal à m’adapter aux règles du basket conventionnel, ayant appris à jouer sur un playground, c’était pas évident au début. Mais ça m’a plu, j’y ai rencontré des copines que je n’aurais probablement jamais rencontré à l’extérieur des entrainements, parce que nous n’étions pas originaire du même milieu. Puis je suis partie à Rouen, au pôle espoir, et j’y ai passé 1 ans. A l’occasion d’un tournoi cette année là, le coach du pôle m’a proposé de rejoindre l’INSEP. C’était génial pour moi, puisque ça signifiait que je faisais partie à ce moment là des trois meilleures joueuses de ma génération. Ensuite, j’ai signé mon premier contrat pro à Tarbes. T’as du te faire chier là bas ! Je m’y faisais chier, c’est vrai. C’était la première fois où je partais aussi loin quasiment, et c’est là bas où j’ai découvert « la vie d’adulte » (premier appartement, le permis, l’indépendance, etc…). J’étais loin de mes potes ; j’ai donc été obligée de me concentrer uniquement sur le basket. C’est à cette époque là aussi que j’ai pris un chien (un yorkshire qu’elle a toujours) tellement je m’y emmerdais ! Heureusement là bas, le coach m’a fait confiance, et j’ai pu vraiment intégrer l’équipe pro dès la deuxième partie de saison. Qu’est-ce qui a changé pour toi ? J’ai découvert le rythme d’un club professionnel, avec en plus la concurrence avec les joueuses étrangères, plus expérimentées. Mais a partir du moment où tu joues bien, les gens te respectent, tout simplement. C’est à partir de ce moment là où j’ai aussi commencé à devenir une femme, parce que avant ça, j’étais plutôt style « wesh-wesh », voire « garçon manqué », toujours en jogging, jamais maquillée, rien ne faisait que j’avais envie de m’habiller puisque ma vie se résumait au basket et aux amis. En observant les joueuses plus âgées, j’ai compris qu’il était important de bien s’habiller pour, par exemple, les événements d’après match avec les partenaires. Au début, c’était un peu la catastrophe mon look, mais il fallait bien commencer à un moment ! Au même moment, tu commences en équipe de France A, n’est-ce pas ? Puis, le sélectionneur de l’équipe de France A m’a contacté. La première année en EDF, ce fut plus pour observer et apprendre que pour véritablement contribuer. C’est seulement à partir de la deuxième sélection que j’ai pu vraiment intégrer l’équipe, même si je suis restée longtemps sans jouer (en match). Après deux ans à Tarbes, je suis partie à Villeneuve d’Asc, où là j’ai pu y obtenir un bien meilleur contrat. T’as aimé le nord ? Même si le climat n’est pas top, les supporters y sont très chaleureux, et la culture du sport y est très présente. Je ne connaissais pas la région et j’avais des aprioris très clichés sur Lille et ses alentours par exemple, mais au final j’y ai découvert une ville très cosmopolite, ouverte sur l’Europe, proche de Londres, la Belgique et l’Allemagne. Ca m’a permis de découvrir Londres ! Là bas, j’avais une « vraie vie », avec des amis, des sorties, et tout le reste. En même temps dans l’équipe, j’ai eu le rôle de « cadre » sur le terrain, mon statut avait changé, j’étais dans le « cinq » à chaque match. Puis Valenciennes, entrainée par Laurent Buffard, multiple champion d’Europe, avec des joueuses « stars », me recrute. Avec eux, j’au remporté mon premier championnat de France, une expérience extraordinaire après cinq ans en pro sans n’avoir jamais rien gagné. Et là, tu pars à New York, en WNBA… A la fin d’un match avec Valenciennes, on me présente la coach des New York Liberties… Innocemment, je ne m’y attendais pas vraiment au rêve américain; j’étais trop jeune. Le soir même, elle me propose de venir jouer à New York. Une semaine plus tard, j’ai reçu les contrats à remplir par Fedex, je n’y croyais toujours pas. Et puisque je ne jouais pas les matchs en équipe de France, je n’avais pas grand chose à gagner en « séchant » la sélection, et plus à y gagner en partant en WNBA. Passer de Valenciennes à New York, ça a changé ton mode de vie mais aussi ton salaire, non ? Pas du tout, puisqu’en fait, je gagnais plus à Valenciennes qu’à New York. Les premiers contrats WNBA sont plafonnés à $ 35 000 environ pour quatre mois de championnat. Ca n’a rien à voir avec la NBA des mecs en fait… Non ça n’a rien à voir ; c’était plutôt pour moi comme « un salaire en plus ». Comment se sont passés tes débuts ? Très bien ! J’ai rejoins l’équipe lors d’un déplacement à Sacramento, et j’en ai pris plein les yeux. On jouait dans les mêmes salles que les garçons, et il y avait en plus (par rapport en France) un public, et une ambiance de malade ! J’ai kiffé, je me disais : »Emilie, même si tu joues pas, on s’en fout ! » Tout était pensé pour que les joueuses se sentent le plus au top possible, on était intégralement prises en charge. Ca te changeait de la France ? J’avais l’impression d’être vraiment passée à un autre niveau, à un autre statut. Comment s’est passée ton intégration dans l’équipe ? Super Bien ! On avait une seule séance d’entrainement de trois heures par jour, mais ce n’était pas si fatiguant que ça au final, puisque tout était mis à notre disposition pour que l’on se sente bien. Là bas, l’important c’est de s’éclater sur le terrain, de donner beaucoup au public ; il faut se la raconter. Pour que les autres croient en toi, il faut déjà commencer par croire en toi même je crois… C’est vrai ! En France, je vois trop souvent des filles pleines de potentiel, mais qui se bloquent à cause de l’état d’esprit du basket ici. Qu’est-ce qui t’as plu là-bas ? Le dress code : la première fois, je suis arrivée à une réception en jean troué, et ils m’ont forcé à me changer et à mettre une robe longue. A partir de là, je me suis éclatée, j’ai joué la French Touch à fond ! Niveau anglais, ça le faisait ? Ca le faisait bof ! Heureusement, il y avait une africaine et une biélorusse qui avaient joué en France et qui parlaient français. Donc j’ai eu de la chance. Au début, tous les jours je flippais d’être coupée. Jusqu’au jour où la responsable du recrutement est venue me voir pour me dire que je restais dans l’équipe, et qu’à la place, ils avaient coupé une autre fille. Mais après deux mois à New York, le coach de l’équipe de France m’a appelé et m’a demandé de rejoindre l’équipe pour les championnats du monde au Brésil. Seulement je lui ai dis que je préférais chauffer le banc du Madison Square Garden que celui d’un gymnase au fond du Brésil ! Mais il m’a garantique je serai cette fois ci parmi les cadres de l’équipe, le « huit majeur ». Je n’ai pas pu refusé. Tu comprends la décision de certains mecs qui préfèrent rester aux USA l’été plutôt que de revenir jouer avec l’équipe de France ? Même s’ils aiment leur maillot (France), les joueurs doivent vivre, et les gens oublient que ce n’est pas la sélection nationale qui les nourrit. Jouer en équipe de France ne rapporte pas d’argent, juste le plaisir de jouer pour son pays. Tony (Parker) peut se permettre de le faire parce que son coach (Poppovich) est très souple par rapport à ça, mais plein d’autres n’ont pas cette chance ni son statut. Bref, c’est un choix parfois compliqué à faire ; je ne sais pas comment je ferais à leur place ! As-tu regretté d’avoir rejoint l’E.D.F. cet été là ? Au final, pas du tout, puisque je ne sais pas si j’aurais eu le même parcours plus tard en sélection si je n’avais pas accepté cette proposition. Ca a été un mal pour un bien, même si des fois je rêve encore de ce contrat de trois ans que j’aurais peut être pu décrocher avec New York… A l’époque, j’avais une amie française qui jouait aussi en WNBA, mais à Los Angeles. Je t’avoue que si elle n’avait pas pris la décision de quitter la ligue pour rejoindre l’équipe de France, je serais restée à New York. Comment ça s’est passé ? Très bien, on a fini cinquième, et individuellement j’ai vraiment bien joué. Puis valenciennes a coulé, et tout le monde est parti. J’ai ensuite décroché un contrat à Fenerbahçe. C’était comment chez les turcs ? Au départ, je t’avoue que je ne savais pas trop comment ça allait se passer : j’avais l’image des turcs en France genre les kebabs etc.. En arrivant à Istanbul, c’était vraiment le souk, les gens roulaient tous comme des fous ! Donc nous avions un chauffeur qui venait nous chercher en permanence pour aller aux entraînements. Les supporters là bas sont des fanatiques ! Ils montent sur les barrières, ils lancent des fumigènes, surtout quand c’est le derby contre Galatasaray, là c’est la folie complète ! En tant que joueuse, je ne pouvais pas sortir avec ma tenue de club dans certains quartiers rivaux : il fallait s’habiller de manière neutre. Et sur le terrain ? C’était très bien aussi, jusqu’au mois de décembre et la période de trêve où je devais rejoindre l’équipe de France pour un stage. Mon club n’a pas voulu respecter cette trêve en programmant un match pendant cette période, mais je ne n’ai pas pu me libérer pour y aller. Ils m’ont menacé de me renvoyer si je ne revenais pas, et je n’y suis pas retourné. Ils ont ensuite falsifié un certificat médical qui prétendait que j’avais des problèmes aux genoux depuis mon arrivée chez eux… J’ai donc porté plainte, et avec le président de la Fédération Française en tant qu’avocat, et ils ont préféré m’indemniser rapidement pour ne pas ternir leur image de club sérieux de haut niveau. Ensuite, tu pars à Naples. J’ai accepté de m’entrainer avec eux quelques jours sans contrat, pour leur prouver que je n’étais blessé. A mon arrivée, le club était dans une situation délicate au niveau sportif, et en fait les dirigeants m’avaient fait venir pour que je les sorte de là, comme si j’avais une cape de Superwoman, mais je n’étais pas Michael Jordan ! Au final, l’équipe n’est pas descendue, et on s’est maintenu de justesse. Autrement, la bouffe était géniale ! Puis ta médaille avec l’équipe de France en 2009… L’été 2008, j’avais été écartée de l’équipe de France pour la première fois de ma carrière à cause d’une blessure au genou. C’était donc une revanche pour moi de revenir un an plus tard, et surtout de terminer sur un titre, après un 9/9. Avez-vous été invitées à l’Elysée après votre victoire ? Non, et puis à l’époque c’était Nicolas Sarkozy le président, ça aurait été moins marrant ! Deux ans plus tard, vous remportez aussi une médaille de bronze. Oui, alors qu’une fois encore en 2010, je m’étais à nouveau blessée au genou juste avant le début de la compétition. J’ai mis six mois à rejouer, et le premier match (avec Villeneuve d’Ascq), j’ai cartonné, avant de m’effondrer deux matchs plus tard niveau confiance. Ca m’a pris du temps pour vraiment revenir à 100% Et les Jeux Olympiques juste après ! Oui ! Et juste avant, je venais de sortir de ma meilleure saison de ma carrière individuellement ; j’avais fini meilleure marqueuse du championnat. Mais le club n’était pas très bien classé, et c’est ce qui m’a coûté le titre de MVP (remporté par Edwige Lawson de justesse). Pendant la préparation des J.O., je me suis blessée au mollet. Même si c’était une déchirure un peu sérieuse, je voulais quand même jouer, c’était tout pour les Jeux. Le coach était le seul décisionnaire, et finalement il a choisi de m’emmener. Finalement, j’ai plutôt cartonné. C’était ton « Flu Game » ! (Voir Jordan) La douleur était moins importante que le plaisir de jouer, mais la nuit, je morflais que le muscle refroidissait ! Tu penses que c’est possible de battre les américaines ? Honnêtement, c’est presque impossible : elles sont largement au dessus. Être en finale, c’était déjà beaucoup pour nous ! Puis, direction Montpellier à ton retour en France. Oui, j’ai commencé par deux mois de repos forcé, à cause de ma blessure contractée au J.O. Le club ne comprenait pas ma décision d’être partie aux Jeux blessée. Au final, je suis tombée dans le meilleur groupe de ma carrière : tout le monde était solidaire. Malheureusement à la fin, on a perdu la finale contre Bourges. C’était la pire saison de ma vie ! As-tu trouvé un club cette saison ? J’ai eu quelques contacts avec Lyon, mais c’est tombé à l’eau. Alors j’en profite pour prendre un peu de recul, pour préserver un peu mon corps, et surtout préparer ma vie « après basket ». Tu veux faire quoi après ta carrière de basketteuse ? Je me verrai bien dans la mode, le stylisme me plaît beaucoup, alors que tout le monde m’attend dans le basket. C’est une évidence : j’aime la mode, j’ai cent trente paires de chaussures à la maison ! J’aime le chic mais au naturel, pas les looks trop « étudiés ». ********THE END******* Partager :Tweet Laisser un commentaire Annuler la réponse Votre adresse e-mail ne sera pas publié.CommentaireNom* Email* Site Web Oui, ajoutez moi à votre liste de diffusion. Prévenez-moi de tous les nouveaux commentaires par e-mail. Prévenez-moi de tous les nouveaux articles par email.