Au moment où Alexis Tsipras revient sur les « lignes rouges » de l’endettement grec qui lui permirent pourtant d’accéder au pouvoir en janvier dernier, cette question revient me tarauder. Sommes-nous noués à cette attraction orbitale du système capitaliste, à l’éternel retour de l’échange et de la dette ? L’Histoire relève-t-elle maintenant uniquement de cet asservissement magnétique à la croissance et au profit ? Ne trouverons-nous d’autres alternatives qu’au sein de ce modèle de la modernité qui nous prouve pourtant, jour après jour, qu’il agonise ? Durant mes études, un homme m’a particulièrement conforté dans mon engagement politique et j’aimerais, avec vous, réassurer cet ancrage. Le nom de Vaclav Havel n’évoque probablement pour la plupart d’entre vous qu’une bibliothèque du XVIIIème arrondissement ou un cours d’Histoire depuis longtemps oublié. Adulé par Kundera, cet homme a participé à libérer la Tchécoslovaquie de l’URSS. Dramaturge et essayiste considéré par beaucoup, et à raison, comme un philosophe il devint président de la Tchécoslovaquie dans les années 90, aimé de son peuple jusqu’à sa mort récente en 2011. Je ne vous parlerai pourtant pas de sa gestion mais de ses Essais politiques qui compilent nombre d’écrits sur le régime soviétique, son fonctionnement rotatif, les possibilités d’en sortir « par le bas » (traitant du communisme ça fait sourire) mais aussi des similitudes à l’Ouest, au cœur du capitalisme. C’est surtout cette dernière dimension, à l’heure d’une victoire lente mais certaine d’un marché libéral généralisé, qui m’intéresse. Havel avait une vision acérée de la dictature soviétique qu’il considérait à bien des égards comme symptomatique de la modernité en tant qu’ère de la technique : sa vision machiniste du système totalitaire, de sa gravitation autour de la Loi et la nécessité de cette rotation pour sa survie façonnent une critique poignante de la soumission des peuples. Il existe bien des vestiges de ces fonctionnements au sein de dictatures contemporaines (la Corée du Nord ou le Cuba des années 90 par exemple) ce qui maintient une certaine fraîcheur à la pensée de l’essayiste. Il évoque aussi les problèmes liés à un étouffement de la culture et au cloisonnement du vécu qui ne peuvent que nous inciter à libérer notre créativité artistique. Dans un essai datant des années 80, il explique parfaitement l’aphasie des voyageurs dans les transports en commun, la paralysie suscitée par un moment suspendu où l’absurdité de l’existence systématisée prend tout son sens. C’est avec cette référence au métro que je commençais à faire le parallèle avec notre mode de vie actuel, voyant évidemment des similitudes avec nos propres visages aujourd’hui rétroéclairés par les smartphones. Mais c’est Havel lui-même qui relativise sa critique de l’URSS en expliquant que le Bonheur n’est pas non plus à l’Ouest. Il va même jusqu’à avancer que le totalitarisme soviétique a beaucoup emprunté au capitalisme pour parachever son emprise et son fonctionnement. Le capitalisme (libéral du moins) n’est pas si différent du totalitarisme décrit : nous sommes prisonniers d’une gravitation systémique qui nous dépasse mais nous emporte sans relâche dans sa boucle. Produire, consommer et recommencer, encore et encore. Peu à peu toute politique s’est calquée sur les lois du marché, voyant dans le mot Croissance un nouvel horizon pour l’humanité. Croître sans relâche, nos conduites dictées par des pourcentages, nos espoirs fondés sur des chiffres. La politique se résume de plus en plus à de l’économie, le travail à des produits et les alternatives à des virages sans lendemain au sein de cet ordre mondial. Les gauchistes grecs s’écrasent, non devant une Allemagne qui les oppresse mais devant une Europe qui craint le pouvoir du marché parce qu’elle saigne encore de ses erreurs. Le problème n’est pas celui de l’Europe mais d’une absence de politique européenne qui ne soit pas seulement focalisée sur l’ouverture des marchés mais aussi sur une véritable tentative d’endiguer cette atrophie systémique qu’engendre le capitalisme libéral. Le problème n’est pas le chômage ou l’absence de croissance mais un système industriel et vertical qui tente de perdurer. Le souci ne vient pas d’une génération qui n’a plus d’intérêt pour le vivre-ensemble mais de cette Culture qui englobe peu à peu notre énergie dans du prémâché à la Ikea. Je ne me perdrai pas plus avant dans ce coup de gueule, paraphrasant du haut de mon quart de siècle les propos d’un grand homme de l’Histoire. Havel pensait qu’il était possible de contrer ce fonctionnement gravitationnel par en bas, par l’action de chaque individu. Ce n’est qu’après que vient le mouvement collectif, à partir du moment où chacun se donne la possibilité de réclamer son mode de vie propre. C’est ça la politique, l’engagement de soi dans le vécu et l’accomplissement d’une éthique personnelle. Alors soyons politiques, soyons engagés et ne laissons pas la matrice systémique nous dicter nos comportements : façonnons les. (Je vous invite surtout à lire par vous-même les Essais politiques de V.Havel disponible chez Calmann-Lévy.) Partager : Laisser un commentaire Annuler la réponse Votre adresse e-mail ne sera pas publié. Nom* Email* Site Web * Copy This Password * * Type Or Paste Password Here * Commentaire Prévenez-moi de tous les nouveaux commentaires par e-mail. Prévenez-moi de tous les nouveaux articles par email.