Aux antipodes de la logique

Arthur Beaufils 14/03/2012 0

papua01 300x225 Aux antipodes de la logiqueBienvenue à vous voyageurs ! Bienvenue sur lʼîle des non-vivants, galet perdu dans lʼOcéan dont les heures défilent au rythme des bourrasques et des glaces. Entrez dans ce royaume des antipodes et savourez une humanité différente, tordue et rognée par les mains du silence. Suivez-moi…

Tout commence en 1772 quand Marc-Joseph Marion-Dufresne découvre un rocher perdu dans lʼimmensité de lʼAntarctique. Il aborde, visite et déclare ce misérable caillou terre de la belle France, patrie du «Roy» et de ses nobles sujets. Plus tard, cette enclave sera dessinée sur des cartes avant de devenir une station météorologique et dʼouvrir les portes de ses quelques baraques aux âmes que la vie a égarée. Dans cette bulle où les éléments sont maîtres, deux êtres se rencontrent et sʼobservent, sʼévitent tout en se cherchant… Ils cohabitent.

Il y a Albert Paulmier de Franville, un petit homme bien pensant se complaisant dans son titre de gouverneur, un diplomate dont la carrière sur le continent a été abrégé par des photos compromettantes. Face à lui se trouve Jodic, mécanicien venu chercher lʼoubli dans les profondeurs dʼAntipodia, amant éconduit qui fuit la réalité à lʼaide du reva-reva, une plante hallucinogène propre à cette terre. Le premier possède le statut mais le second est maître des lieux, courant la lande et sʼenfonçant dans le bois.

Dans cet espace clos, il apprennent à jouer le jeu des civilités et sʼobligent à passer un peu de temps en compagnie lʼun de lʼautre, partageant à tour de rôle une vieille cassette VHS pompeusement titré Les secrètes salopes à Dakar. Mais le système déraille peu à peu : «Gouv» est blessé à la jambe et tourne en rond tandis que Jodic échappe de plus en plus souvent à la réalité. Dans cet univers détraqué débarque Moïse, un Mauricien sauvé des eaux et dont lʼarrivée fait résonner les instincts grégaires des habitants, plongeant ce huis clos dans un marasme chaotique.

Héritier de lʼabsurde…

Jean-Luc Coatalem cumule les chapeaux dʼessayiste, de nouvelliste et de journaliste pour des magazines de voyages, apposant sa signature au bas de nombreuses publications. Cet homme, amoureux de lʼailleurs et du lointain, adore voyager et découvrir de nouveaux territoires. Cʼest un explorateur né à la mauvaise époque, au temps des cartes et du connu, qui soigne ses désirs en écrivant sur des espaces dont le grand public ignore lʼexistence. Antipodia est un peu son paradis, un point dans lʼocéan, un territoire passant inaperçu.

Dans la ligne direct de Beckett et dʼIonesco, lʼauteur fait renaître lʼabsurde dans ce roman décalé où les règles de vie ne sont plus. Les phrases sont décousues et le rythme saccadé, un peu à la façon dʼune pensée qui se construit avant de se perdre. Loin de déranger, ce style sʼaccorde à la perfection avec lʼesprit douloureusement torturé des personnages. Les points et les virgules prennent une autre forme, métamorphosés en véritables couperets déchirant la toile de la logique humaine.

En résumé, Jean-Luc Coatalem nous offre une ici superbe création, un Guernica réincarné en mots.

Le gouverneur d’Antipodia de Jean-Luc Coatalem, Le Dilettante, 2012, 189 pages.

Par C.Bouju

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