Les conditions de travail dans les hôpitaux

Arthur Beaufils 08/04/2012 0

117801201 300x225 Les conditions de travail dans les hôpitaux Depuis plusieurs années, les conditions de travail des praticiens hospitaliers ne cessent de se dégrader, ce qui en fait aujourd’hui une profession particulièrement pénible aussi bien sur le plan moral que physique.

La crise économique impacte de plein fouet les établissements. Les difficultés à financer l’Assurance Maladie, principal bailleur de fond de l’hôpital, sont au premier plan des problèmes. Le manque d’investissements, l’inadaptation des locaux, la régression des
 statuts des personnels, la 
pénurie de professionnels de
santé, la bureaucratisation et
 les fermetures récurrentes 
de services sont les
conséquences des politiques
 libérales appliquées à 
l’hôpital. Elles plongent 
celui-ci dans un marasme sans 
précédent.

La capitalisation de l’hôpital

La tarification à l’activité (T2A) est le principal mode de financement des établissements de santé français et il est issu de la réforme hospitalière de 2004. Elle représente 80% des revenus dégagés par les hôpitaux publics. Le principe est le suivant : une maladie traitée ou un acte médical donné induit un coût d’hospitalisation.

Ce sont désormais les recettes issues des activités hospitalières qui vont déterminer les dépenses et non l’inverse. Le rendement d’un hôpital devient alors aussi important, voire plus, que la mission principal de l’hôpital public, accueillir et soigner sans distinction. C’est la libéralisation du service public.

Vous avez une pneumonie diagnostiquée lors de votre séjour à l’hôpital. Celui-ci recevra, pour votre hospitalisation, x milliers d’euros. Evidemment plus vous sortez vite, plus cette hospitalisation est rentable : quelle que soit la durée de séjour ce sont x milliers d’euros qui sont versés par l’Assurance Maladie. C’est la raison pour laquelle le soignant a intérêt à ne pas hospitaliser dans son service les « bloqueurs de lits » qui « plombent » alors le budget.

La T2A met en danger l’hôpital public

La tarification à l’activité pousse au rendement, plus vous avez de séjours, plus vous aurez d’argent. En 2010 l’activité hospitalière a crû de 3%. Mais la fédération hospitalière de France signale qu’un établissement réalisant une progression d’activité verra son budget augmenter beaucoup moins rapidement que ses charges. Par ailleurs la concurrence avec le privé est inégale et perdue d’avance. Les cliniques et hôpitaux privés bénéficient de la T2A au même titre que le secteur public mais ils ne déduisent pas dans le remboursement les honoraires des médecins et les suppléments hôteliers, qui sont à la charge du patient. La Générale de santé ou le groupe Korian (principaux représentants dans le secteur privé) ont eu une progression importante de leur chiffre d’affaires en 2010 et en 2011 tandis que le secteur public accuse toujours un déficit. La T2A risque, à terme, de faire fermer les hôpitaux publics car l’hospitalisation en clinique sera moins onéreuse pour la sécu mais cette différence sera payée par le patient. Photos 0023 300x225 Les conditions de travail dans les hôpitaux

Les CET, un gouffre économique

La loi du 13 juin 1998 concernant l’abaissement du temps de travail à trente-cinq heures hebdomadaires, représente une véritable catastrophe pour le système de santé français. Les praticiens hospitaliers, travaillant dans le secteur public, devraient normalement être concernés par cette réduction du temps de travail. Pourtant, il n’est pas rare que les spécialistes soient contraints d’effectuer entre quarante-huit et soixante-douze heures par semaine.

Conformément à un protocole d’accord signé en 2002 entre le gouvernement et les syndicats, les médecins disposent d’un délai de dix années pour utiliser leurs jours de repos. Les heures supplémentaires qu’ils effectuent s’accumulent donc sur des Compte-épargne temps (CET) qui avaient, en novembre dernier, attiré les regards des médias. En effet, toutes les heures enregistrées en 2002 devaient être payées par le gouvernement avant le 3 janvier 2012, ce qui représentait une dépense potentielle de 600 millions d’euros pour l’Etat.

Afin de diminuer le montant de l’addition, le ministère de la Santé a proposé aux praticiens hospitaliers de choisir entre une compensation monétaire, plus intéressante pour les jeunes médecins désirant arrondir leurs fins de mois, et la possibilité de racheter des points de la caisse de retraite afin de quitter plus rapidement le monde actif.

Nicole Smolski, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs - élargi (SNPHAR-E) souligne que « cette solution n’est pas applicable sur le long terme. L’année prochaine, ce seront les heures enregistrées en 2003 dont il faudra se charger… Le gouvernement ne pourra pas nous offrir tous les ans un moyen de rapprocher notre départ à la retraite, mais étant donné le contexte économique actuel, il ne sera pas non plus en mesure de nous payer toutes les heures supplémentaires…»

Administration vs personnel : la guerre interne

Tous ces problèmes récurrents de financement exacerbent les tensions entre les services administratifs des l’hôpitaux et le personnel médical. La pression est énorme dans chaque service et cela ne contribue pas à l’amélioration de la qualité des soins proposés. Voici le témoignage d’un chirurgien pédiatre de l’hôpital Necker (Paris) : «Les administratifs et les médecins n’ont pas les mêmes priorités. Ils veulent faire du chiffre alors que nous voulons faire de la médecine…» «Assis derrière un bureau, ils sont complètement déconnectés de la réalité.» «Ils ne vivent pas la maladie, ils la quantifient pour l’analyser sur le plan comptable.»

Cet autre médecin, un anesthésiste réanimateur de l’hôpital Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois, n’hésite pas a évoquer la dangerosité de ce mercantilisme : «Selon les protocoles instaurés par l’administration, nous ne devons pas passer plus de sept minutes pour chaque consultation d’anesthésie. Dans ces conditions, il est impossible de rassurer correctement le patient, de lui expliquer ce qu’il va vivre. La médecine devient une immense machine sans trace d’humanité…» «Sept minutes, ce n’est pas suffisant pour étudier correctement un dossier. Tout ceci est dangereux pour les patients !»

Un personnel épuisé

Parallèlement à ces difficultés financières, le plan humain est lui aussi affecté par la situation actuelle. Les praticiens hospitaliers sont soumis à des conditions de travail particulièrement pénibles : des journées commençant généralement aux alentours de 8h00 et qui ne se terminent pas avant 17h00 à cause des plannings surchargés, l’impossibilité récurrente de prendre une pause déjeuner, des gardes de vingt-quatre heures et de grandes difficultés à pouvoir prendre des jours de repos.

Un représentant de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH) explique que tous ces éléments « induisent chez les praticiens des états de stress facilitant les conflits internes, des dépressions ou encore des états d’épuisements physiques. » Il dédramatise cependant en précisant que ces troubles restent relativement isolés.

Un médecin du travail opérant en région parisienne avoue pour sa part rencontrer « de plus en plus souvent des cas de dépression liés à l’isolement que génèrent les dépassements d’horaires. Les anesthésistes et les infirmières sont les plus touchés par des états dépressifs. Physiquement parlant, ce sont sans doute les brancardiers qui sont les moins bien lotis. Douleurs dorsales, luxations d’épaules ou de genoux… Ils sont particulièrement exposés à ces pathologies. Quand j’en discute avec des collègues, je réalise qu’ils sont confrontés au même problème… »

Le docteur Dreux, une anesthésiste travaillant dans un hôpital de la banlieue parisienne a souvent vu son travail empiéter sur sa vie privée : « Quand l’école où était scolarisée ma fille m’a demandé si je viendrai la chercher à la sortie des cours ou si je désirai qu’elle reste au centre de loisirs, je n’ai pas été en mesure de leur répondre. Certains jours, il m’était possible de passer la prendre… Et parfois elle m’attendait pour rien derrière la grille de l’établissement. Qu’est ce qu’une mère est censée dire à son enfant dans ce genre de situation ? » Elle s’estime cependant chanceuse. Un de ses anciens collègues, ne supportant plus les reproches systématiques de leur famille, en est venu à se donner la mort.

« C’est la panique ! »

Dans les hôpitaux français, le personnel qualifié se fait de plus en plus rare. En effet, depuis quelques années, le secteur public assiste à la formation d’un creux démographique dont les sources sont multiples et qui touche principalement les zones rurales ainsi que les banlieues dites «chaudes».

Dans les années quatre-vingts, le gouvernement n’a cessé d’abaisser le numerus-clausus, soit le nombre de personnes pouvant décrocher chaque année le titre de médecin. Cette décision ministérielle induit aujourd’hui un non remplacement des personnels partant à la retraite, et donc, une diminution drastique des effectifs dans le secteur hospitalier. Pour corriger ce problème, le ministère de la Santé a annoncé que sur l’année 2012, le nombre d’étudiants admis à l’examen serai remonté à 8 000. Il faudra cependant attendre plusieurs années avant que ces médecins en devenir ne puissent intégrer le marché du travail.

Parallèlement à cette pénurie de personnels qualifiés, l’attractivité du monde médical ne cesse de décroitre. En effet, les jeunes étudiants ne désirent pas s’installer dans des milieux aux conditions de travail pénibles, leur préférant ainsi des spécialités plus calmes comme la dermatologie ou l’ophtalmologie. Pour la seule spécialité qu’est l’anesthésie, les effectifs sont passés de 7 500 titulaires en 2003 à 4 500 en 2011. « Nous n’osons souvent pas prendre de jours de congés afin de ne pas pénaliser nos collègues. Nous ne sommes pas assez en temps normal, alors dés qu’un médecin quitte son poste, c’est la panique ! » explique la présidente du SNPHAR-E. Pour améliorer les choses, le gouvernement a évoqué la possibilité d’accorder aux jeunes internes le droit d’effectuer des remplacements dans les hôpitaux, et non plus seulement dans les cliniques. Selon un membre de l’InterSyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH) il est cependant « peu probable que cette réforme attire les foules. Le secteur privé rémunère beaucoup mieux ses employés que le secteur public, ce qui est fondamental pour un jeune médecin encore en formation et qui ne touche donc pas le salaire d’un titulaire… »bloc2 300x207 Les conditions de travail dans les hôpitaux

Pour les hôpitaux situés dans des zones rurales ou dans des banlieues difficiles, la situation est dramatique. Selon le Conseil de l’Ordre des médecins, la région Bourgogne ne conserverait ainsi que 47 % de ses diplômés, soit 15 % de moins que la moyenne nationale. Un sondage mené auprès des universités dévoile que plus de 63 % des étudiants n’envisagent pas de s’installer dans des campagnes. Les zones « chaudes » souffrent elles aussi d’un cruel manque de personnel. En 2011, 822 agressions ont été recensées sur le territoire français (contre 920 en 2010), la Seine-Saint-Denis étant la région la plus touchée par ces incidents. Effrayés par le danger que peuvent représenter ces localités, les spécialistes refusent souvent de venir y travailler.

Importation de médecins

Afin de renflouer leurs effectifs, les établissements publics font de plus en plus souvent appel à des personnels étrangers, ce qui entraîne certaines tentions au sein des équipes.

Les médecins étrangers diplômés dans un pays de l’Union Européenne peuvent venir travailler en France en toute liberté, leurs qualifications étant automatiquement reconnue par l’Etat.

Les spécialistes issus d’un pays se trouvant en dehors de l’UE doivent cependant prouver leurs compétences. Ils sont ainsi obligés de travailler pendant trois ans dans un CHU (Centre Hospitalier Universitaire) avant de pouvoir passer un examen leur permettant d’obtenir une équivalence. Avant de posséder le précieux sésame, ces médecins pourtant reconnus dans leur pays d’origine se voient imposer des salaires moins importants que ceux des diplômés français, ce qui génère régulièrement des conflits dans les équipes médicales. Un chirurgien pédiatre algérien déclare avec dégoût que « ce beau pays des révolutions semble attaché à ses fondations coloniales. Il est normal que nous ayons à faire nos preuves, mais être moins payés que nos homologues français est aberrant. Comment voulez-vous qu’une équipe puisse fonctionner correctement avec des écarts de salaires pouvant atteindre 2 000 euros ? Il ne faut pas s’étonner que les médecins étrangers quittent le secteur public dès qu’ils en ont la possibilité… Ou bien qu’ils éprouvent un certain ressenti à l’égard des professionnels français… »

Des « petites mains » méprisées

Dans les hôpitaux, en plus des conditions déjà difficiles pour l’ensemble du personnel, infirmières, brancardiers, aides-soignants, sages-femmes et secrétaires médicales sont confrontés à un certain mépris de la part des médecins. Ces « petites mains », comme certains les appellent, sont pourtant essentielles au bond fonctionnement d’un service.

Souvent considérée comme étant de moindre importance, cette partie du personnel hospitalier se charge de toutes les « basses besognes. Nettoyer un malade qui s’est fait dessus, effectuer les prises de sangs, s’assurer que les patients soient prêts pour leur opération, rassurer des familles inquiètes… Ce boulot, c’est nous qui nous en chargeons ! » rappel Fatima une infirmière travaillant en région parisienne. Chirurgiens et anesthésistes se montrent souvent irrespectueux envers ces collègues. « Jamais un merci… J’ai parfois le sentiment de ne pas être tout à fait humain pour eux, de me fondre dans le décor » se lamente un brancardier parisien.

Une formation moins longue, des taches parfois dévalorisantes et des salaires extrêmement bas induisent chez certains spécialistes un sentiment de supériorité à l’égard de cette partie des équipes. Ce mépris, bien que très difficile à vivre au quotidien, ne semble plus choquer qui que ce soi dans le milieu hospitalier. Résignée, Fatima demande « que pouvons-nous y faire ? »

Par C. Bouju et A. Beaufils

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