L’or noir Normand

Arthur Beaufils 19/03/2012 0

L’équipe de Roads est allée en Normandie pour se rendre au plus près des sites industriels de raffinage et de pétrochimie. Ces derniers ne font généralement pas parti du circuit pour se rendre à Deauville ou en villégiature dans les maisons de campagne des riches parisiens.

La Normandie est une région incontournable dans l’Histoire de notre pays, Guillaume le Conquérant, Jeanne d’Arc, des produits laitiers de qualités, une terre sacré, au regard du nombre d’Abbaye dans la région. Une terre accueillante, avec des bocages appréciés le temps d’une ballade aujourd’hui mais qui furent l’enfer des Gi’s durant l’été 44. Honfleur, Deauville, Pont-Audemer sont autant de villes tranquilles qui font le bonheur des citadins en quête d’espace à seulement 1h30 de Paris.

La majestueuse Vallée de la Seine tolère pourtant en son sein un des plus gros pôles industriels du pays. Notamment dans le secteur du raffinage, qui représente plus de 20 000 emplois induits et directs en France. En Normandie, Exxon, Total, Petroplus, Lubrizol se sont installés à ce carrefour entre l’Europe, le Royaume-Uni et les pays scandinaves, pour transformer le pétrole brut.

Une contrée défigurée à jamais

Notre Dame de Gravenchon, la ville accueille un site industriel de 3km sur 3km, une immensité quasi apocalyptique. Une forte odeur empreint l’air comme du souffre humide et du plastique brulé. Le plateau boisé de Caux, dont les cimes s’étendaient jusqu’à la forêt de Brotonne est maintenant recouvert de sphères de distillation, de cheminées d’évacuation et de brûleurs de 70 mètres qui peuvent recracher des flammes de 150 mètres, qui illuminent alors des nuits sans étoiles.

Ce site est classé SEVESO 2, seuil haut. La dernière catastrophe sur ce type de site remonte à 2001, avec l’explosion d’AZF de Toulouse. Une série d’explosions ici serait gravissime. En traversant cette zone, on constate la concentration des usines de caoutchouc, de production d’alcool médical, de transformation de carburants, on ne peut qu’imaginer avec effroi un tel scénario.

Un site sous haute surveillance

Nous arrêtons la Jeep sur un parking en face de l’entrée de la raffinerie Esso/Exxon, un tableau affiche fièrement la série des jours sans accidents. En s’approchant pour prendre de meilleures photos, nous percevons de l’agitation au poste d’entrée. Lorsque, moins de 5 min plus tard, nous remontons dans notre voiture, un véhicule de sécurité arrive au loin, tous gyrophares allumés. Nous savons qu’il vient nous chercher. Nous sortons sereinement du parking car les 400 chevaux sous notre capot ne laisseront aucune chance à notre poursuivant. Sur la grande ligne droite menant à Notre-Dame de Gravenchon nous le semons vite, notre plaque a cependant du être relevée et notre véhicule ne passe pas vraiment inaperçu.

En arrivant à Notre-Dame de Gravenchon, 8000 habitants, la première chose qui saute aux yeux c’est la morosité architecturale, typique des villes « champignons » des années 60. Pour sa très modeste taille, Gravenchon est pourtant bien pourvue en infrastructures : conservatoire, cinéma géant, piscine olympique, des clubs de sports de renom au niveau semi-professionnel. Une commune incroyablement riche et généreuse.

Une fois à la Mairie, nous cherchons à interviewer un élu, sur des questions environnementale et économique. On nous explique qu’ils sont tous à l’Intercommunale de Lillebonne. Sur place, la secrétaire, après présentation, contacte le service communication. La responsable descend nous voir. Elle nous demande nos cartes de presse. Cela aura pour effet d’interrompre nos demandes de rdv au titre que nous sommes des journalistes « non-affiliés ».

Un malaise est perceptible lorsqu’on veut parler impact écologique. La santé revient aussi dans les conversations. Nous sommes allé voir le parton d’une entreprise de métrologie. Une multitude d’entreprises pullulent autour du site. Sociétés de plomberies, de soudures, d’échafaudages. Un certains nombre d’entrepreneurs ont fait fortune grâce à l’industrie. Selon lui, les gens seraient plus atteints de cancers ici, mais c’est la survie de l’emploi régionale qui est en jeu. «Les gens préfèrent faire des concessions sur leur état de santé et avoir du travail » explique-t-il. Cela paraît assez logique étant donné la récession actuelle. On peut quand même se poser des questions sur la santé des travailleurs, qui travaillent sans masques alors que la vison des cheminées crachant des volutes de fumées âcres sans arrêt est inquiétante.

Une politique de sécurité déroutante

Avant de partir sur la banlieue de Rouen et les sites de Quevilly et Petit-Couronne, nous ne voulons pas repartir de Gravenchon sans infos. Direction la caserne de pompiers. Le chef de centre est absent. La conversation s’engage, en micro caché, avec un pompier en salle de repos. En une dizaine de minute, au fur et à mesure que l’ambiance se détendait, ce dernier nous donne des informations assez troublantes :

« On n’a pas le droit d’intervenir dans les usines. C’est privé. Les raffineurs ont tous leurs personnels, professionnel. Ils sont généralement des anciens sapeurs-pompiers de Paris. Exxon veut une certaine rigueur. Mais moi je suis opérateur pour Exxon et je fais aussi partie des forces d’intervention des pompiers Exxon, c’est dans mon contrat. On nous a appelé une fois pour l’explosion d’une unité de distillation, des particuliers, et on est resté à la porte ». Ils ont en plus des contrats « d’aide mutuelle », Total, Pétroplus et Exxon peuvent partager leurs unités d’intervention s’il y a un gros pépin. De toute façon leur matériel est vraiment au-dessus. Un peu comme dans les aéroports, tout est quasiment automatisé avec des lances à très haute pression. »

Lorsqu’on lui demande quel est alors leur rôle en cas de crises majeures, étant donné la dangerosité du site, il nous répond : « Nous n’intervenons qu’en cas de PPI, plan particulier interne. Là c’est l’évacuation de Gravenchon et nous intervenons. Ce n’est jamais arrivé. Malgré tout si des explosions, ça arrive, il n’y a jamais d’AZF ». Le sort de toute une région et de l’agglomération rouennaise est entre les mains d’acteurs privés, propriétaires de multinationales… Ce qui n’est pas vraiment rassurant, tout comme la métaphore avec AZF.

Un sentiment de confusion

Ce soldat du feu, symbole de la protection civile, nous énumère sereinement les tenants de ce paradoxe. Personne dans la région, ne semble être atteint par quoique ce soit en rapport avec les raffineries. Elles font parties du décor pour ainsi dire et c’est tout. Il y a presque une ambiance d’omerta, parfois inconsciente, sur le sujet.

Par A. Beaufils

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