Le philosophe, historien et polémiste Roger Garaudy s’est éteint mercredi à l’âge de 98 ans. Figure emblématique de l’anti « bien pensée », cet ex communiste repenti a su, tout au long de sa vie, défendre une idéologie qui lui était propre et ce, envers et contre tous.
Aujourd’hui, citez Roger Garaudy est vous serez sur de vous faire fustiger du regard par vos auditeurs (si par bonheur ils savent de qui vous parlez). D’ailleurs, dans la vie, il n’y a pas de hasard et c’est donc logique que le premier site à avoir évoqué sa mort n’est autre que le très controversé Egalité et Réconciliation, tenu par le « peu recommandable » Alain Soral.
Depuis 1996, il était devenu persona non grata parmi la classe politique française. Ses propos sur la Shoah ont dérangé , tout comme d’ailleurs ses prises de positions par rapport aux régimes arabes. Du Caire à Téhéran, de Beyrouth à Damas, d’Amman au Qatar en n’oubliant pas les territoires palestiniens, Roger Garaudy était reçu là bas comme un véritable héros atypique.
La naissance d’une conscience communiste
Gaurady nait le 17 juillet 1913 à Marseille. Bien qu’issu d’une famille populaire athée, il se convertit dès quatorze ans au protestantisme. Quelques années plus tard, il part enseigner la philosophie à Albi, la ville du grand Jaurès.
Pendant la guerre, il sera emprisonné dès 1940 pour n’être libéré que cinq ans plus tard, six mois après l’arrivée des « sauveurs américains. » André Marty, alors haut dirigeant du Parti Communiste Français le contacte et lui propose d’intégrer le mouvement dans lequel il rejoindra le comité central en 1945, avant de devenir député du Tarn au sein des assemblées constituantes de 1946 et 1947 puis, à l’Assemblée Nationale. Bolchevique convaincu, il est à l’époque selon ses propres termes « Staliniste de la tête aux pieds. »
En 1951, il entame une traversée du désert politique qui durera cinq ans qu’il mettra à profit pour partir passer un doctorat de philosophie à Moscou. A son retour, il se retrouve vice président de l’assemblée national de 1956 à 1958 avant de siéger au Sénat parmi les sages de 1959 à 1962 et ce, malgré le paradoxe du début de la déstalinisation.
Un temps professeur de philosophie dans les années 1960, il choisi ensuite de prendre en charge le Centre d’étude et de recherches marxistes où, comme Louis Althusser à la même époque, il tente d’isoler une déviation théorique stalinienne qui laisserait Marx et Lénine hors des « maux communistes » dont est victime à ce moment là l’Union Soviétique. Seulement Roger Garaudy osera remettre en cause le rôle prédéfini de l’humanisme au sein de l’idéologie communiste et sera par conséquent, qualifié de revisioniste et d’homme de droite. À cela s’ajoutera son intérêt depuis toujours pour la religion qu’il juge ne pas être incompatible avec les valeurs laïcardes du communisme. En mai 1968, alors que les jeunes rebelles parisiens de l’époque s’égosillent dans les rues de Paris, les tensions entre l’URSS et la Tchécoslovaquie s’accentuent jusqu’à atteindre le point de non retour trois mois plus tard qui se soldera par une invasion soviétique d’une Tchéquie qui devenait trop libérale au goût de Brejnev et qui surtout, présentait un danger pour l’URSS qui risquait là de perdre un important fournisseur d’armes et de matériel industriel. A partir de là, Garaudy commença à remettre en cause le communisme en lui même et sorti l’un après l’autre deux ouvrages aux titres évocateurs: Peut-on être communiste en 1968 ? et Pour un modèle français du socialisme. La rupture avec le parti rouge était devenue inévitable et logiquement quelques mois après le congrès de 1970, il fut exclu du parti.
La libération de sa pensée
Pendant les années 1970, Roger Garaudy a consacré une majeur partie de son temps à approfondir ses travaux philosophiques sur le retour nécessaire à la foi chrétienne jusqu’en 1981, année où il se converti à l’Islam: « j’ai atterri dans l’islam sans me défaire de mes croyances personnelles ni de mes convictions intellectuelles ». Fasciné par le passé glorieux des conquêtes musulmanes, il choisi d’implanter une fondation à but éducatif portant son nom à Cordoue en Espagne. Cette conversion l’amènera logiquement vers l’antisionisme qui devint, au fil des années, de plus en plus virulent jusqu’à tendre vers quelque chose perçu comme un certain antisémitisme qui le conduira jusqu’au tribunal pour « contestation de crimes contre l’humanité ».
Dès la guerre du Golfe de 1992, il commence à se mettre à dos l’ensemble de la classe politique française dirigeante, à l’époque conjoncturellement atlantiste, en dénonçant une guerre coloniale.
En 1996, la sortie de son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne déclenche un véritable raz de marée médiatique. Dans cet ouvrage, il affirme que « le judaïsme n’est pas mis en cause, mais la politique israélienne » en ajoutant qu’il révise simplement les conclusions du procès de Nuremberg et les principes qui l’ont fondé. » Pour étayer ses théories, il se base en partie sur les travaux de David Irving, historien ô combien décrié pour ses prises de positions proches de l’idéologie nazie. Le raccourci est alors facile, Garaudy est un néonazi qu’il faut faire taire et décrédibiliser.
Pourtant, face au lynchage publique dont il est victime, son ami de longue date, l’abbé Pierre, lui vient en aide en dénonçant le « lobby sioniste international », chose qui, pour beaucoup, n’existe pas. Désavoué et humilié en France, son discours soit disant apocryphe et négationniste trouve pourtant écho dans plusieurs pays comme l’Égypte, le Liban, le Qatar, ou encore la Syrie.
Vivement critiqué pour ses prises de positions tardives à la fin de sa vie, il est nécessaire dans un souci d’objectivité de rétablir quelques faits historiques qui semblent avoir été oubliés. Le communisme à l’époque de l’URSS, (le communisme est une idéologie d’ailleurs encore acceptable en France aujourd’hui) a causé d’après diverses estimations, environ 70 millions de morts. Le nazisme, mouvement extrémiste et raciste condamnable en tout point, a fait 6 millions de victimes juives et 4 millions de prisonniers politiques, homosexuels et tziganes. Roger Garaudy était respecté du temps où il tenait un discours pro communiste puisque c’est bien connu, historiquement le capitalisme préfère les bolchéviques au nationalistes. Par contre, le jour où il décida de remettre en cause la légitimité du sionisme sans pour autant se placer en tant qu’antisémite (jusque vers la fin de sa vie où il dériva clairement), il s’attira les foudres de l’opinion publique qui ne voit que deux catégories de réfléxion possibles: le philosémitisme total ou l’antisémitisme. Garaudy a lontemps été entre les deux. Aussi, un rappel historique s’impose impérativement car pour quelqu’un qui était considéré comme un « presque » néonazi négationniste à la fin de sa vie par la société, il a passé cinq années en prison, enfermé dans les camps vichystes d’Afrique du nord pendant la guerre parce que justement, il s’opposait au nazisme et le combattait. Roger Garaudy, ce n’était pas forcément lui l’ennemi.