Bienvenu dans le cabinet des curiosités CFM. CFM n’est autre que l’acronyme de Charles Francis Moothart et Charles Francis Moothart n’est autre que le créateur des Epsilons, le bassiste des Moonhearts et le guitariste du Ty Segall Band et de Fuzz (ajoutons bientôt GØGGS). Ahh, je sens que j’ai déjà votre attention. (article réalisé et publié en collaboration avec nos amis de Still in Rock)

Still Life of Citrus and Slime, son premier album, vient tout juste de paraître sur In The Red et je prends déjà le pari que cette 289ème sortie du label marquera son histoire autant que cette belle année 2016. Parfois proche de Ty Segall, parfois proche des Oh Sees, CFM a pour lui un univers alambiqué qu’il traduit avec une excellente production. Et puis, CFM s’inscrit également dans l’univers très noir de ces albums qui ont enchantés 2015, à la différence qu’il y ajoute de la pop, beaucoup de pop. Les titres de Still Life of Citrus and Slime conservent également un aspect très punk en ce qu’ils sont généralement courts et brutaux. Ça fait beaucoup, mais c’est précisément la sensation que CFM cherche à créer : le trop-plein, l’extase par le nombre.

L’album s’introduit sur « You Can’t Kill Time« , déjà une belle démonstration de tout le soin apporté à cet LP. Dwyer n’est pas loin, on y retrouve la dualité entre une production qui joue sur le noisy et des sonorités analogiques très 90′. « Brain of Clay« , le petit second, est centré sur sa mélodie. CFM joue l’alternative sur un titre en escalade. On veut plus. Vient alors « Lunar Heroine« , un titre encore supérieur, plus analogique, plus psychédélique, plus Charles Moothart. Il se tourne là vers les bas fonds du punk et du stoner (son projet Moonhearts ressemble à des enfants de chœur comparativement). Ce titre à quelque chose d’un mélange entre le Damaged Bug de John Dwyer et le Fuzz de Ty Segall. Oh, un squelette de chat à trois têtes.

« Street Car History » vient casser ce rythme effréné avec une guitare acoustique, la première de l’album. Mais ne comptez pas sur Moothart pour lui laisser trop de place, un stoner en acier trempé vient rapidement nous rappeler aux heures les plus noires de la musique D.I.Y.. Sans trop miser sur l’aspect mélodique, il nous retourne encore une fois le cerveau à l’aide d’une production à faire pâlir d’envie la scène garage. Les sons ne semblent jamais en finir de surgir, c’est bon. « Glass Eye« , pour sa part, débute comme un titre de punk tout ce qu’il y a de plus classique. Et il continue de la sorte. Ce n’est pas là où CFM est le plus créatif, mais son cabinet des curiosités continue à afficher ses bizarreries guitaristiques. Oh, un oiseau sans ailes.

On se laisse immédiatement embarqué par « Slack » qui semble d’entrée annoncer un morceau épique. Il l’est. Prenant le temps de batir son empire, l’orage n’éclate jamais et voilà que l’on se persuade de la volonté pop de Moothart. Yes, mais seulement voilà, CFM, c’est un projet pour faire fuir les âmes sensibles. Il battit ainsi sa musique psychédélique cmme un titre de White Fence, loin des sentiers trop convenus de la scène qui semblent avoir fait fondre au soleil tout génie créatif. « Slack » restera comme l’une des meilleures surprises de l’année 2016.

Et puis, connaissant l’artiste, on se doutait qu’il n’allait pas tarder à nous en remettre plein la vue. C’est « Habit Creeps » qui se charge de nous faire prendre en vitesse, le son inversé de la batterie rend parfaitement la monnaie de la pièce à une partition vocale plus nerveuse. Et dire que CFM semble encore en avoir sous la semelle. Vient ensuite « Clearly Confusion« , un titre qui aurait pu être le petit dernier de la famille Mutilator. CFM y fait preuve d’une grande inventivité, une fois encore. Le problème de ce genre de titres (et d’albums, plus largement) est qu’il relègue au stade de l’amateurisme tous les groupes qui ne relèvent pas le défi de l’innovation, tous ces groupes de garage qui se contentent d’un rythme par chanson, d’un seul type de mélodie par album. La guitare de CFM a pour elle un aspect métallurgique sur lequel on pourra longtemps s’extasier. Oh, un bébé siamois.

CFM dit avoir voulu naviguer entre deux outils, son cerveau et son Tascam 388. C’est ce que « Purple Spine » encapsule dans un style plus maitrisé. Le titre tente de nous la faire à l’envers, mais en vain. Cette balade vient temporiser avant que les deux derniers morceaux ne s’emparent de ce qu’il nous reste comme volonté punk. Mais force est de reconnaitre que l’on trouve plus de plaisir avec des titres comme « The Wolf Behind My Eyes« , du genre pas froid aux yeux. On le remarque peu, mais ce punk là se démarque finalement de celui des 1977 comme du renouveau des années ’90. C’est un punk de troisième génération, du Pistols 3.0. CFM pourra se vanter d’avoir fait partie des premiers leaders du genre. Oh, le cadavre du Marquis de Sade.

Et puis, le rêve touche à sa fin avec « Still Life of Citrus and Slime« . Naomi Punk joue parfois d’une ambiance similaire, une sorte de musique subconsciente qui nous fait planer au-dessus de la cohue à laquelle on vient d’échapper. Ce titre rajoute au chaos créé par cet LP. « Fast, slow, wonky and straight. There are moments of everything in these grooves » qu’il dit. OK, ce coup-ci, on comprend bien le message : Still Life of Citrus and Slime veut aller où les autres LPs du genre ne vont pas, et c’est réussi. Mais après tout, Still Life of Citrus and Slime, c’est quel genre ?

Still Life of Citrus and Slime est un album qui va très vite. Si sa richesse a de quoi décontenancer, elle constitue également le gage de sa qualité, ce qui fait qu’on l’écoutera encore une fois que 20 autres albums de garage lui seront passés dessus. La force de cet LP réside dans sa volonté de toujours nous surprendre. CFM fait parfois cela au détriment de la mélodie, mais force est de constater que le résultat final est de ceux qui marquent une année. Lorsque trop de groupes refusent les statements et semblent se contenter de l’idée de faire paraître un album pour plaire, CFM vient nous dire qu’il faut surtout centrer les valeurs artistiques autour de leur aspect évolutif.

Impossible en cela de trop rapprocher Still Life of Citrus and Slime d’un autre LP. Certes, on y trouve quelques ressemblances avec Thee Oh Sees. Il y a un aspect D.I.Y. plutôt brouillon qui renforce le côté creepy des quelques créations qui s’y trouvent. Et puis, peut-être aussi, une volonté psychédélique qui est suppléée par une excellente maitrise du travail studio, et j’insiste sur ce point. Mais CFM marque surtout en ce qu’il nous maltraite avec quelques titres que l’on a du mal à s’approprier. Il me semble qu’un dénommé Ty Segall a fait état de la même volonté sur son dernier album… Le ton est donné. Le tableau est certes accroché de travers (voir pochette), mais force est de constater que CFM semble avoir fait tout le reste sur le droit chemin de la postérité. Des premiers albums de ce calibre sont chose rare, sinon tout à fait exceptionnelle. Chers amis, nous venons de vivre la naissance d’un Nom.

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