Avocat et essayiste, Jean-Marc Fédida revient sur la chute brutale du maître incontesté du Chicago des années 20, analysant la marche inexorable d’une justice bien décidée à ne rien laisser de ce géant.
Ce n’est pas pour le sang versé ou la commercialisation du sexe et de la boisson que l’une des figures emblématiques du grand banditisme moderne a été écrouée, mais bel bien pour sa comptabilité. Il s’agit là d’une fin peu glorieuse pour la légende qu’était Scarface et d’une réalité difficile à appréhender pour l’esprit populaire. Comment le monstre sacré et pensé intouchable qu’était Al Capone a-t-il réussi à sombrer ainsi, emporté pour un simple affaire de chiffres ? Comment a-t-on réussi à emprisonner la créature terrifiante qu’il était sans même aborder les nombreux assassinats qu’il a commis ?
L’Histoire a voulu que le géant qu’il était fonde son empire dans l’ombre de la Prohibition, hasard temporel qui lui aura été fatal. Dans cette Amérique puritaine et bien pensante, la réussite au mépris des lois et de la morale dérange les plus hautes instances de l’Etat. Juges et politiques observent ce titan grandir et dévorer leurs doctrines, impuissants face à la destruction méthodique de la philosophie fondatrice de leur pouvoir. Pendant ce temps, la population s’arme et s’enivre, savoure les plaisirs d’une chaire monnayable, plonge dans les délices du jeu et observe avec fascination le visage balafré vendeur de rêves et de terreur qui leur apporte tous ces vices sur un plateau. Car c’est bien ce que représente Al Capone pour les hommes de la rue : un rêve américain souillé par la pauvreté et le désespoir, une oligarchie née de la fange que génèrent les beaux quartiers.
L’argent est le nerf de la guerre
Cicéron ne pensait pas si bien dire en citant ce proverbe. Pour abattre la bête, l’Amérique utilise la plus ancienne des technique de chasse, attaquant par le flan l’animal qui la fait trembler. C’est là où on ne l’attend pas que la flèche vient se planter, droit dans les poches du Roi de Chicago. Ni lui ni sa horde d’avocats n’ont vu la corde du collet se refermer, et quand enfin ils comprennent le réel enjeu du procès, il est trop tard pour le prévenu dont le sort est à présent scellé.
Jean-Marc Fédida décrit consciencieusement ce combat de titans et toutes les manipulations politiques qui s’y dissimulent. Achats de témoins et de jurés, verdict écrit bien avant la clôture du délibéré… La machine judiciaire est débordante d’irrégularités et refuse de laisser sa proie lui échapper, se faisant un devoir de châtier le luxe tape à l’oeil et générateur d’idées qu’incarne Scarface.
Une forme déroutante
Romancé à l’extrême, le style de l’auteur évoque dans certaines lignes les grands noms de la littérature classique, mais bien loin d’être une force, c’est ici un véritable boulet que le lecteur est obligé de traîner avec lui. Les images et figures de styles s’enchaînent allègrement au fil des pages, démolissant ainsi le réalisme des faits, et par la même occasion, toute la nature de l’ouvrage.
Agréable dans le premier chapitre aux tendances philosophiques et humanistes, la poésie de Jean-Marc Fédida devient rapidement une simple lourdeur stylistique nuisant aux fondations, pourtant indéniablement efficaces et pertinentes, de son livre. Tiraillé entre écrivain et essayiste, l’auteur ne fait ici que s’enfermer dans un petit enclos carnavalesque dont les moins motivés se lasseront rapidement.
Le procès Capone de Jean-Marc Fédida. Fleuve noir, 288 pages.
Par Cyrielle Bouju





