Entre insécurité, gangs armés djihadistes et un semblant d’Etat, le chaos généralisé s’est installé en Libye tandis que le pays sombre un peu plus chaque jour dans l’indifférence médiatique et le désintérêt de la communauté internationale.
Il y a deux ans, la Libye était l’un des pays les plus dynamique d’Afrique, le revenu moyen par habitant était le plus élevé du continent, les hôpitaux étaient équipés avec la meilleure technologie occidentale, le taux d’alphabétisation des femmes était plus élevé qu’aux Etats-Unis. On se souvient encore des libyens fuyant les combats dans des pick-up japonais sur des autoroutes flambant neuves … Il y a deux ans, le 20 octobre 2011, la mort de Mouammar Kadhafi était célébrée comme un tournant historique et humaniste pour un pays qui était censé avoir les clés d’un avenir démocratique axé sur un modèle atlantiste. Aujourd’hui, la réalité est toute autre. Le pays est en voie de «somalisation», autrement dit en phase de désintégration totale.
Depuis la fin du «conflit» en 2011, c’est une guerre tribale sans nom qui ravage le pays. Dès mai 2012, des ex-rebelles avaient pris d’assaut le siège du gouvernement à Tripoli pour réclamer des primes. Selon les agences de renseignement américaines, plus de 500 milices occupent le pays. Cela représente une force – incontrôlable - de 30 000 hommes dotée d’un incroyable armement qui provient aussi bien des hangars du Guide que de généreux dons de la France, des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou encore du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
Loi du plus fort
Le pays n’a jamais été autant divisé. Il faut rappeler que le conflit libyen qui a fait 30 000 morts en huit mois selon l’ONU n’est absolument pas une conséquence du « Printemps de Jasmin », qui n’a pas eu lieu en Libye. Le pays a vécu une guerre tribale qui a vu la région de la Cyrénaïque (Benghazi), avec l’aide du Fezzan et ses chefs de guerres locaux, se soulever contre Tripoli, région d’origine de Kadhafi et qui l’a soutenu jusqu’à la fin. Le pays est aujourd’hui divisé en cinq zones (Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les Toubous) avec des luttes d’intérêts autour de la principale richesse du pays : le pétrole.
Qui dirige la Libye ? C’est une question sans réponse alors qu’un Etat central fort peine à s’établir. Au Parlement, l’Alliance des forces nationales est en lutte avec l’aile politique des Frères musulmans sur l’avenir du pays, qui prend le chemin d’un régime islamique basé sur l’application de la Charia. Le ministère de la Défense est sous l’influence d’une alliance tribale laïque tandis que le ministère de l’Intérieur est contrôlé par la milice du Bouclier de la Libye, une milice radicalement islamiste… Depuis la chute de l’ex-régime, les autorités de transition ne parviennent pas à former une police et une armée régulières. Avec l’enlèvement rocambolesque du Premier ministre, Ali Zeidan, par des ex-rebelles le 10 octobre dernier, puis l’assassinat à Benghazi une semaine plus tard du chef de la police militaire, l’insécurité s’affirme comme un mode de gouvernance. Rappelons que c’est une milice rivale qui a permis la libération du chef du gouvernement libyen… Les bandes armées font la loi et leurs rivalités pour acquérir encore plus de pouvoir illustrent bien la fragilité du gouvernement central.
Entre kidnappings, assassinats et attentats, la réconciliation nationale semble impossible. Selon Human Right Watch, « les détentions arbitraires, les actes de torture et les meurtres sont généralisés, systématiques et suffisamment organisés pour constituer des crimes contre l’humanité ». L’ONG dénonce un tournant dans l’escalade de la violence cet été, avec le premier meurtre en juillet d’un activiste politique. Selon Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord, « ce qui a commencé comme des assassinats de membres de la police, de l’appareil de sécurité intérieure et du renseignement militaire, s’est vu aggravé encore davantage avec le meurtre de juges et d’un activiste politique. Le fait que personne n’ait pu en être tenu responsable met en lumière l’échec du gouvernement à construire un système judiciaire efficace. ».
Une poudrière aux portes de l’UE
Kadhafi avait été le premier à lancer en 1995 un mandat d’arrêt international contre le leader d’Al-Qaïda, Ben Laden, propulsant son pays comme un acteur de la lutte anti-terroriste mondiale. En 2013, le pays est devenu un bastion, un refuge, une « Terre » du Djihad, selon la majorité des experts en terrorisme. La prolifération d’armes a transformé la région en un marché à ciel ouvert très lucratif où tous les trafics sont permis. Des factions armées islamistes, très aguerries, contrôlent désormais une région aussi étendue que le territoire français et ce, à quelques miles marins des frontières de l’Union Européenne. Des représentations diplomatiques et des intérêts occidentaux ont été visés par de nombreux attentats ces deux dernières années. L’ambassadeur américain a été tué l’année dernière lors de l’assaut de son consulat. L’ambassade de France a subi une attaque à l’explosif en avril 2013. Celle de Suède la semaine dernière… Ces pays occidentaux avaient été parmi les principaux soutiens de la « nouvelle Libye ». Conséquence rétroactive d’un soutien précoce à des entités islamiques méconnues, un scénario qui se répète dans le conflit syrien.
Si le « Printemps arabe » est devenu un hiver islamique, ce dernier semble sans fin pour la Libye qui est plongée dans le chaos depuis plus de deux ans et l’insécurité augmente chaque jour. Si des milices décident de s’allier pour conquérir le pays, une sanglante guerre civile risque d’éclater…
Dates clés
- 23/10/11: Le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la « libération » du pays, trois jours après la mort de Mouammar Kadhafi
- 07/07/12: Les Libyens se rendent aux urnes pour la première fois pour élire une Assemblée nationale, le Congrès général national (CGN).
- 11/09/12 : Attaque contre le consulat américain à Benghazi: quatre Américains tués, dont l’ambassadeur Chris Stevens.
- 10/10/13 : Le premier ministre, Ali Zeidan, est enlevé par un groupe d’ex-rebelles affirmant agir sur ordre judiciaire.
- 18/10/13 : Le chef de la police militaire est tué par balles à Benghazi, théâtre quotidien d’attaques et d’assassinats contre l’armée et la police.Tweet