Entretien avec IAM : « l’egotrip est réservé aux hommes politiques »

Hedwige Pfister-Quivrin 24/07/2013 0
A l’occasion 9ème festival « Terres du Son » en Touraine, rencontre exceptionnelle avec le groupe IAM, dont le dernier album « Arts Martiens » est sorti en avril: du son, de la poésie et un engagement certain pour ces marseillais attachants.

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Pour sa 9° édition, « Terres du Son » festival emblématique de la Touraine, a encore affiché une programmation haut-de-gamme. Même si la nouvelle configuration perd en convivialité, on peut désormais classer « Terres du Son » comme l’un meilleurs festivals français.

La prog’ du vendredi soir parle d’elle-même: IAM, Kavinsky, Wax Tailor, Deluxe… On peut d’ailleurs en dire autant du reste du week-end : Archive, Oxmo Puccino, Concrete Knives, George Clinton, Breakbot, Elisa Jo, Asaf Avidan, Lo’Jo et bien d’autres. Si vous avez manqué cette édition, dommage… Nous, on y était et on en a profité pour poser quelques questions aux marseillais d’IAM.

Pourquoi l’ensemble de votre œuvre a-t-il toujours un rapport avec la mythologie asiatique, égyptienne et aujourd’hui avec Marvel ?

AKH : Le fait que l’on ait embrassé plusieurs images mythologiques, qu’elles soient antiques ou modernes comme dans « Marvel », nous a permis de pratiquer un genre du hip-hop souvent très mal compris par les gens qui ne connaissent pas le hip-hop : c’est l’egotrip. L’egotrip est né des battles , ces joutes verbales dont le but est de décrédibiliser et ridiculiser l’adversaire, c’est vraiment un exercice de style. Le rap n’a pas créé ça, ça existe dans l’histoire de l’humanité depuis longtemps. Comme dans IAM nous n’étions pas trop à l’aise pour parler de nos personnes dans nos textes, nous avons souvent pris le biais de personnages pour des morceaux egotrip. Il y a des tas d’exemples de nos morceaux qui sont des moyens détournés par l’egotrip et qui évitent de dire « moi je, moi je, moi je… », comme « l’empire du côté obscur » (1997). L’egotrip est un genre très déprécié en France. Beaucoup d’artistes de variété ou du rock n’ont jamais saisi la portée de ce pan là du hip-hop.

IMHOTEP : Je pense que l’egotrip est réservé aux hommes politiques. Il y a aussi un rapport à l’histoire, il y a des lacunes dans l’histoire telle qu’elle est enseignée en France. Quand on se construit on a besoin de références concrètes et historiques. Si on ne les trouve pas dans l’enseignement, on les cherche ailleurs, d’où la référence à l’Egypte et aux anciennes civilisations.

AKH : Quand un certain président va en Afrique et dit « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », ça nous fait rire. L’homme africain n’est pas assez entré dans les livres d’histoire !! C’est une question d’angle de vue.

Votre clip « la fin de leur Monde » a été censuré. Pourquoi un clip avec des images aussi violentes ?

AKH : Parce que c’est la réalité, en fonction du texte bien sur. Les images collent exactement à ce que l’on dit, malheureusement, c’est le monde tel qu’il nous est livré tous les soirs à la télévision. Par cette fenêtre, tous les foyers en France se prennent ces images-là dans la tête. Le clip, ce ne sont que des images des journaux de 20h, aucune image volée, cachée… En 2007, 2008, 2009, quand on jouait ce morceau sur scène, on s’est rendu compte qu’avec la projection des images, la portée du morceau était encore plus grande. Elle était tellement grande qu’on avait des difficultés à positionner le titre dans le concert parce qu’il plombait l’ambiance, il jetait un froid donc on faisait attention à le mettre au bon moment car après il y avait une drôle d’atmosphère. Le clip a été censuré en raison du format d’abord : en France et dans le Monde, un morceau de plus de 3mn25, sans refrain, ça ne passe pas. Et aussi parce-qu’on n’avait pas les droits sur les images.

Il y a eu « demain c’est loin », « la fin de leur monde », il y aura une suite ? On l’attend forcément.

SHURIK’N : En fait ce n’est pas prévu. C’est vraiment au feeling. « Demain c’est loin », c’était un hasard, « la fin de leur monde » c’était un hasard. On a eu l’idée, et l’instru nous a guidés, comme souvent. On est parti à écrire, quand on a eu fini de dire ce qu’on avait à dire : il y avait deux feuilles, sans refrain et on a laissé comme ça parce qu’on n’avait pas envie de couper dans un long texte pour mettre un refrain. On l’avait déjà fait pour « demain c’est loin » donc on n’a pas eu de problème à réitérer. On ne fait pas de calcul, il n’y a pas de prévisions quand on part dans un album, il n’y a pas de quota. Donc pour l’instant demain c’est vraiment très loin, je ne sais pas s’il y en aura un troisième.

AKH : En tous cas « la fin de leur monde » si on voulait, entre 2006 et 2013, il y a de quoi écrire !!

Sur le nouvel album « Arts martiens » il y a beaucoup « résister », il y a une critique de la société, du monde politique. C’est quoi le changement pour demain ? Comment peut on entrevoir un meilleur avenir ?

AKH : Si on ne peut pas changer les choses en profondeur, il y a beaucoup de choses qui se jouent au niveau individuel déjà, dans le comportement au quotidien. Regardez l’atmosphère générale qui règne dans le pays, quand il y a des grandes causes pour lesquelles il faudrait descendre dans la rue et se battre, il n’y a personne dehors et pour le mariage pour tous, il y a des manifestations qui durent des semaines !

SHURIK’N : Avec des ambiances de guerillas…

AKH : Les jeunes sont énormément sur la surface, l’apparence, pas dans le fond. Si on refaisait la « marche des beurs »* aujourd’hui, il n’y aurait personne, même pas les gens des quartiers parce qu’il faudrait sortir les jeunes des Audi A3.

SHURIK’N : Les jeunes ont d’autres préoccupations.

AKH : Les quartiers se sont « deconscientisés », comme le pays en général et quand j’entends les discours de l’extrême droite, c’est flippant ! J’ai vu dans certains magazines des portraits un peu sexys de Marine Le Pen. Il y a des gens qui vont déchanter. Je pense que l’on est dans un des pays de l’Union Européenne qui est malheureusement l’un des plus aigris et le plus raciste. On le voit quand on tourne : ce ne sont pas des régimes d’apartheid flagrants, mais c’est la petite phrase, c’est insidieux, ordinaire. Ça se banalise sournoisement. Le package qu’on nous vend : les valeurs de la République, la méritocratie, l’égalité des chances.. c’est un paquet balourd, il n’y a que du toc dedans. Forcément au bout d’un moment il y a des gens qui s’en aperçoivent et .. ça ne donne pas envie de voter.

SHURIK’N : On a tous des enfants : qu’est-ce-qu’on va leur laisser ? Dans quoi on va les laisser ? Il y a plein de choses qui ne sont pas forcément liées à la politique mais à l’avenir de chaque individu.

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Crédit : Mounire LYAME

Il y a des gens qui n’écoutent que vous, qui pensent que vous avez des responsabilités et un rôle d ’éducation. Vous en pensez quoi ?

SHURIK’N : Quand on nous dit qu’on a des responsabilités, le seul rôle d’éducation que j’accepte c’est celui que j’ai vis-à-vis de mon fils. Ma contribution c’est celle-là: quels principes je vais laisser à mon fils, qu’est-ce-que je vais lui apprendre, quelle ligne de conduite je vais lui donner. C’est ça. C’est lui l’avenir, pas moi, moi je suis à la fin, lui il arrive ! Et c’est pareil pour tout le monde, c’est chacun a son échelle. Si changement il doit y avoir, c’est au niveau cellulaire que ça doit commencer. La meilleure des leçons, c’est par l’exemple et pour le moment on n’a pas les bons profs !!!

AKH : Si les enfants entendent des ignominies tous les jours, si les gens que j’entends sur les émissions de RMC disent la même chose devant leurs enfants : on est mal barrés !

IMHOTEP : Ce n’est pas une mission. On est ni mandatés ni payés par l’éducation nationale, on n’est pas non plus des prêcheurs. Mais à un moment donné, être obligé de se référer à des artistes, à des auteurs ou à des rappeurs pour dire « ils ont une mission d’éducation », c’est grave ! Ça veut dire que les parents, l’Éducation Nationale et les gens chargés de cette mission éducative ne l’ont pas fait.

Il y a quand même une question d’éducation populaire, si dans l’Audi A3, il y a l’album d’IAM… sans remplacer les parents, ça existe, non ?

AKH : A l’époque de la marche des beurs, il n’y avait pas IAM. Il y avait des organisations sociales, politiques, culturelles et une réelle envie collective de faire changer les choses. On est aujourd’hui dans l’individualisme.

SHURIK’N : On parlait de préoccupations : il peut y avoir le CD d’IAM dans l’A3 mais s’il y a 500 à prendre, ils va les prendre… Je ne peux pas être assis à côté de lui pour lui dire « mec, fait pas ça » ! C’est une question de conscience individuelle.

Êtes-vous conscients d’être le porte drapeau d’une jeunesse ?

SHURIK’N : Je pense que c’est notre vision de la musique et de notre art qui fait que l’on a été perçus comme ça. Quand on a un micro dans les mains, on vit dans une ville, par extension un pays, une planète, au milieu de plein de gens, il se passe plein de choses. On a les mêmes préoccupations que chacun et la facette du hip-hop qui nous a interpellés c’est le rap et ce qui se passait autour de nous. Aux États Unis, le mouvement commençait aussi, les gens parlaient d’autres choses que du parti et nous on a eu envie de faire la même chose mais de parler de nos problèmes, de nos vies, de nos gens.

AKH : On n’est pas très tendres avec Marseille 2013, l’adjoint à la culture de Marseille a dit « ils n’ont qu’à se présenter à la mairie l’an prochain ». Ben non, mec ! Fais ton job, fais le job pour lequel t’es payé, t’es élu pour ça. Parce qu’après ne pleure pas qu’il y ait des kalachnikovs et des gens qui se tirent dessus dans ta ville. C’est que tu n’as pas fait ton job.

SHURIK’N : Ça veut dire qu’il s’en remet à des artistes, à des rappeurs, pour faire ce job pour lequel il est payé mais qu’il ne fait pas !

IMHOTEP : On ferme des centres sociaux, des centres culturels et après on dit « oh, il y a de la violence dans les quartiers » et on met de la police de proximité.

SHURIK’N : C’est toujours la culture qu’on enlève en premier. Mais la culture quand elle s’en va, elle laisse la place à des tas d’autres choses beaucoup moins rigolotes.

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Crédit : Mounire LYAME

* En 1983, la marche pour l’égalité et contre le racisme, surnommée « la marche des beurs » est la première manifestation nationale du genre en France. Elle fait suite à la percée du Front National aux élections municipales de Dreux.

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