Et si Israël voulait déclencher une guerre régionale en Syrie ?

Arthur Beaufils 07/05/2013 0
L’aviation israélienne a mené deux raids aériens sur la Syrie entre le 3 et le 5 mai. Officiellement, les bombardements visaient le Hezbollah et ses convois de roquettes. Pourtant, de nombreux enjeux se jouent à travers la position israélienne qui est le premier pays étranger et signataire d’accord militaire avec l’OTAN à s’engager directement dans le conflit syrien. Explications.

syrie 1024x685 Et si Israël voulait déclencher une guerre régionale en Syrie ?

Dimanche 5 mai, un haut responsable israélien a confirmé à l’AFP que Israël a mené deux frappes aériennes en trois jours en Syrie contre des armes destinées au mouvement chiite libanais Hezbollah. « Un raid a eu lieu vendredi avant l’aube contre des armes destinées au Hezbollah, à proximité de l’aéroport de Damas », a-t’il déclaré sous couvert de l’anonymat. « Un deuxième a été mené dans la nuit de samedi à dimanche. Cette attaque a visé des missiles iraniens destinés au Hezbollah, au nord de Damas », a-t-il indiqué. Depuis le début du conflit il y a 2 ans, c’est le troisième raid aérien israélien. Le premier avait pour cible un convoi à la frontière libano-syrienne le 29 janvier 2013.

Les témoins rapportent que le feu consécutif aux explosions était visible à des dizaines de kilomètres, évoquant «un ciel où se mêlaient de manière terrifiante le rouge et le jaune». Selon l’agence de presse syrienne Sana, un centre de recherche militaire du nord de Damas a été détruit.

À travers son ministre de l’information Omrane al-Zohbi et une lettre adressée à l’ONU, Damas affirme que les rebelles sont «les outils d’Israël à l’intérieur» de la Syrie et les raids en sont la preuve. Le ministre a prévenu que l’escalade la violence est à prévoir tandis que le conflit vient de prendre un tournant. «La communauté internationale doit savoir que la situation dans la région est devenue plus dangereuse après l’agression», a-t’il déclaré. Un responsable syrien a ajouté que la Syrie choisira le bon moment pour riposter. « Nous allons attendre mais nous répondrons », a-t-il indiqué. Le gouvernement de Bachar Al-Assad a aussi accusé Israël de soutenir directement le Front Al-Nosra, une branche syrienne d’Al-Qaïda qui combat dans les rangs de l’Armée Syrienne Libre.

Armes chimiques, Hezbollah, Iran, le jeu dangereux de Tel-Aviv

Sans jamais confirmer les raids de l’Etat hébreu alors que c’est le premier allié militaire des Etats-Unis, le président américain Barack Obama estime «justifié» que les Israéliens cherchent à «se protéger contre le transfert d’armes sophistiquées à des organisations terroristes comme le Hezbollah». Ces armes « sophistiquées » seraient des armes chimiques : le tabou des tabous, l’interdit de l’interdit et surtout le principal levier de pression de la communauté internationale et de l’opinion à l’encontre du régime de Bachar Al-Assad.

Selon Jean-Michel Vernochet, géopolitologue et ancien journaliste du Figaro, la présence de ces armes interdites par les conventions internationales est peu probable. « Les armes chimiques c’est un mot magique mais ce sont des armes extrêmement difficile à militariser, à maîtriser et seul des systèmes militaires et des états hautement technicisés sont capable de recourir à de tels instruments et c’est loin d’être la cas de la Syrie » a-t’il déclaré.

Le jeu des politiques israéliens est très dangereux puisque Israël serait en première ligne en cas de conflit régional. De plus, l’intervention israélienne a provoqué une vive réaction de Téhéran, qui est le principal allié de la Syrie et le pourvoyeur de fonds du Hezbollah. Si le gouvernement iranien s’est contenté de condamner « l’attaque du régime sioniste », il a par ailleurs indiqué qu’il serait prêt à « entraîner » l’armée syrienne si elle en avait besoin, selon des déclarations du commandant de l’armée de terre iranienne, cité par l’agence officielle IRNA. L’implication de la République Islamique donnerait au conflit une portée mondiale alors que les tensions sur le dossier du nucléaire ont atteint leur paroxysme.

Qui attise le brasier?

Deux camps s’opposent dans le dossier syrien. Le premier camp est celui du statu quo, qui cherche des issues politiquo-diplomatiques en négociant, il comprend notamment la Russie et Chine. Moscou est favorable à un partage raisonnable des zones d’influences du Moyen-Orient, officieusement sur le modèle des accords Sykes-Picot* de 1916. Le second camp est partisan du choc frontal et du conflit armé comme unique moyen de faire chuter le régime des Al-Assad, qui a été mis au ban des nations à cause du mouvement insurrectionnel en Syrie. Une intervention directe est réclamée par certains tandis que les autres apportent une aide logistique et financière aux rebelles syriens. La Ligue Arabe, qui a toutefois condamné les bombardements de l’aviation, les Etats-Unis, les principaux membres de l’OTAN et l’Union Européenne, en particulier le France et le Royaume-Uni s’entendent sur cette position.

Une large frange de la classe politique israélienne est désormais guidée par une idéologie martiale à l’encontre des ennemis qui menace l’axe Jérusalem/Tel-Aviv. Les élections législatives de janvier dernier ont vu le Likoud, le parti de Benjamin Netanyahu, se « droitiser » pour gagner. Sa liste a été élue grâce à la « domination de personnalités de la droite dure, voire de l’extrême droite comme Moshé Feiglin », selon Simon Epstein, professeur d’histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste de l’extrême droite israélienne. De plus, le parti d’extrême droite Beit Yehoudi de Naphtali Bennett a remporté 11 sièges et une médiatisation inconnue jusque là. Les opérations « Plomb Durci » (2008) puis « Piliers de défense » en décembre 2012, témoignent de la stratégie politique du Premier ministre israélien B. Netanyahu. Il assoie principalement sa position grâce à des actions militaires qui permettent d’unir un électorat et un peuple qui a connu de multiples agressions de ses voisins par le passé.

Israël a t’il un intérêt à provoquer une guerre régionale ?

«À partir du moment où Israël attaque, c’est de manière préventive, donc de légitime défense face à un ennemi potentiellement extrêmement dangereux.

Le pouvoir de Tel-Aviv cherche à allumer la mèche et à faire exploser une guerre régionale pour entrainer l’OTAN, donc l’Europe et les Etats-Unis, qui se montreront à coup sûr solidaire de l’Etat hébreu dans une telle situation », selon M. Vernochet. Le camp atlantiste prendrait pourtant un gros risque en intervenant militairement. Les guerres éclaires d’Afghanistan et d’Irak ont été des victoires militaires incontestables mais s’avèrent être des véritables bourbiers où aucune solution politique n’a abouti en plus de 10 ans. Pour beaucoup d’analystes et de responsables politiques à travers le monde, ces conflits ont été –finalement- perdus par les « occidentaux », les Etats-Unis en tête.

« Les Israéliens ont attaqué le territoire syrien par crainte d’un renforcement du Hezbollah et d’une agression contre leur territoire, y compris au moyen de l’arme chimique, a déclaré Mahmoud al-Hamza du Conseil national syrien de l’opposition. Il estime aussi que ces raids sont un moyen pour Israël d’affirmer sa supériorité sur un de ses ennemis historiques, « le président Bachar al-Assad reste silencieux alors que Damas s’est préparé pendant 40 ans à une guerre avec son voisin. Autrement dit, il n’a plus de forces pour contrer une agression extérieure ».

Au-delà du simple fait évident de prendre une position hégémonique sur la région, un intérêt économique d’une importance capitale et au potentiel incommensurable tend les bras à Israël. Le quotidien libanais Al-Akhbar a publié des fuites qui proviennent d’un « géant pétrolier occidental » en décembre 2012. La question énergétique serait le réel fond du problème syrien. Un projet qatari prévoit de construire un nouveau gazoduc pour permettre à Doha de fournir l’Europe en gaz naturel. Selon les documents, La région de Homs est le « cœur géographique » d’un futur tracé de pipeline. Le plan fait démarrer le gazoduc du Qatar, il traverse le territoire saoudien puis la Jordanie pour arriver à Homs où il se scindera en trois. À Lattaquié sur la côte syrienne, Tripoli au nord du Liban et un autre prendra la direction de la Turquie.

Quand la poudrière sent le gaz

Les deux pays qui militent les plus ardemment pour une intervention militaire en Syrie pour anéantir le régime de Bachar Al-Assad sont la Turquie et Israël. Ces deux pays ont tout à gagner dans l’implosion de la Syrie. Le gazoduc donne des avantages stratégiques considérables à la Turquie et à Israël dans l’équation du commerce gazier mondial. Pour la Turquie, se porter garant de l’approvisionnement européen, c’est se positionner pour une adhésion à l’Union Européenne sans compter les dividendes payés par le Qatar et Israël pour le droit de passage de leur gazoduc à destination de l’Europe.

Une découverte en 2009 est passée relativement inaperçue mais elle est pourtant une sorte de croisée des chemins pour Israël qui évolue dans une situation économique relativement exsangue, minée par des dépenses militaires exorbitantes. Tel-Aviv a fait la découverte de 25 trillions de mètres cube de gaz « off-shore ». Situé à égale distance entre les côtes chypriote et israélienne, ces gisements font partie des plus importantes découvertes d’hydrocarbure en 10 ans. Des richesses quasi incommensurables qui garantissent l’indépendance énergétique de l’état hébreu avec des perspectives d’export non négligeable. Le Liban, considéré parfois comme un satellite de Damas à travers le Hezbollah, convoite ces ressources.

Les intérêts du pétrole ont déjà fait éclater l’Irak et à une moindre échelle la Libye, la Syrie est probablement sur la liste. Ce gazoduc est un pari risqué mais le jeu a tout pour en valoir la chandelle pour les acteurs principaux de ce projet. Israël, les Etats-Unis, le Qatar, la Turquie qui sont les principaux opposants à Damas ou encore la Jordanie, qui a récemment mis en place des camps d’entrainements pour l’ASL sur son territoire. Tous ces pays ont des intérêts dans ce tracé qui change la politique énergétique mondiale au détriment de la Russie.

Les raids israéliens sont, hormis l’intervention militaire au sol, le plus fort engagement pris par une puissance étrangère depuis le début du conflit syrien en mars 2011. Il est fort probable que les motivations interventionnistes de l’Etat hébreu sont principalement dictées par ces enjeux économiques et géopolitiques de l’apprivoisement de la première puissance économique mondiale malgré la crise, l’Union Européenne.

Des raids aériens d’une portée capitale

Sans parler des risques pour la population locale si l’aviation israélienne a bombardé des éléments chimiques, la contamination de certains sites pourra être utilisé contre le régime de Bachar Al-Assad. Notamment en l’accusant d’avoir employé ces armes qui sont la « ligne rouge » à ne pas dépasser pour la communauté internationale. Cette affaire des raids de l’aviation israélienne est destinée créer des prétextes interventionnistes puisque ni en Israël, ni à Washington, cette option ne fait l’unanimité. En affirmant avoir bombardé des convois et des dépôts d’armes chimiques, Tel-Aviv veut pousser l’ONU à trouver un consensus qui est loin d’être établi.

L’attaque de Tel-Aviv sur un territoire souverain a démontré une certaine faiblesse de l’armée régulière syrienne qui est dans l’incapacité de lutter contre une puissance militaire étrangère après plus de deux ans de conflit interne. Sur le terrain, les tensions confessionnelles sont exacerbées puisque le conflit a gagné il y a peu le coeur du pays alaouite, la minorité dont est issu M. Assad et qui centralise une majorité du pouvoir politique.

Israël a pris un risque que les experts militaires espèrent bien calculé en se livrant à cette double attaque aérienne. Ces raids de l’Etat juif marquent une indéniable escalade dans les relations avec la Syrie et sont susceptibles d’étendre le conflit syrien à toute la région.

*cf. « Comment l’Empire Ottoman fut dépecé », le Monde Diplomatique, avril 2003

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Les balises HTML ne sont pas autorisés.