La Cour des Miracles: des Gueux d’autrefois aux Roms d’aujourd’hui

Raffael Enault 29/10/2012 0

L’hostilité des français - blacks, blancs et beurs inclus - à l’égard des roms n’a jamais été aussi forte. Seulement, le problème de la misère qui se voit et qui dérange ne date pas d’hier. Les « Romanos » de notre époque ne font que reprendre les codes des « gueux » d’antan. Décryptage d’une misère que personne ne désire…

 La Cour des Miracles: des Gueux dautrefois aux Roms daujourdhui

Rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme » disait Lavoisier. Pour ce qui concerne les pauvres, c’est pareil. De la cour des miracles d’antan, la misère s’est à présent déplacée dans des campements de taules situés légèrement à l’écart du « centre ville. » Le phénomène de ghettoïsation s’opère donc de la même façon: les pauvres restent à proximité des gens normaux sans jamais pouvoir intégrer leur univers.

Pour attirer l’oeil des passants compatissants, les techniques n’ont pas changé: il faut faire transparaître la misère.En fait, plus c’est gros, plus ça passe. De la mendicité, au vol subtil en passant par la violence, les maladies, les problèmes d’hygiène ou l’oisiveté chronique, le quotidien des malheureux du XVII ème siècles est rigoureusement identique à celui des Roms de notre époque.

C’était quoi « La Cour des Miracles » et « les Gueux? »

La capitale attirait à cette époque - comme toute grande ville - des déshérités qui y voyaient l’espérance d’une survie meilleure. Paysans chassés de leurs terres par la fiscalité trop lourde, chômeurs, invalides, déserteurs : tous venaient tenter leur chance. Ces  » étrangers « , connaissaient une situation économique précaire. Des  » ghettos mendiants  » - dont le plus célèbre est la cour des Miracles - se développaient au coeur d’un tissu urbain désagrégé en un labyrinthe de ruelles incontrôlables. Ces zones de non-droit - ou les représentants de l’autorité ne pouvaient pas pénétrer sans courir le risque d’être tué - constituaient des espaces de repli où les gueux trouvaient protection auprès de leurs semblables.

 La Cour des Miracles: des Gueux dautrefois aux Roms daujourdhui

« Depuis plusieurs siècles, Paris et ses environs étaient infestés d’une foule de vagabonds et de pauvres. La plupart, gens sans aveu, mendiants de profession, tenaient leurs quartiers généraux dans les cours des miracles. On nommait ainsi leurs repaires parce qu’en y entrant ils déposaient le costume de leur rôle. Les aveugles voyaient clair, les paralytiques recouvraient l’usage de leurs membres, les boiteux étaient redressés. Tous les moyens leur semblaient bons pour exciter la compassion des passants […] Immense vestiaire, en un mot, où s’habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris… [s'ensuit la description de leurs différentes « spécialités »] écrivait Paul Bru.*

Henri Sauval, auteur d’un ouvrage intitulé Histoire et recherche des Antiquités de la ville de Paris, décrivait cette grande cour des miracles comme «  une place d’une grandeur considérable et un très grand cul-de-sac puant, boueux, irrégulier, qui n’est point pavé , abritant plus de mille familles chargées d’une infinité de petits enfants légitimes, naturels et dérobés, installés dans des logis bas, enfoncés, obscurs, difformes, faits de terre et de boue. »

Sauval établissait également une symétrie entre l’absence d’hygiène des lieux et des personnes et le manque de morale. Il rappellait «  qu’on s’y engraissait dans l’oisiveté, dans la gourmandise et dans toutes sortes de vices et de crimes, sans aucun soin de l’avenir [...], chacun y vivait dans une grande licence [...], on n’y connaissait ni baptême, ni mariage, ni sacrement . Cette contre-société, très hiérarchisée, possède une langue à part entière, l’argot, incompréhensible aux non-initiés. Elle refuse de payer l’impôt et les taxes. »

Autre époque, même problème…

Tous les usagers réguliers de transports en commun parisiens ont déjà eu la chance d’observer des mendiants qui mimaient avec perfection les mouvements d’un estropié. Seulement, il n’ont rien inventé: autrefois, on appelait ça des narquois, des malingreux ou encore des piètres. Faute d’imagination, ils ont aujourd’hui fusionné pour donner le désormais classique « Rom du métro. » Les coupeurs de bourse sont devenus de vulgaires pickpockets. Quant aux orphelins, -les pauvres enfants aux pieds nus - ils existent toujours et n’ont pas évolué. Les capons sont aujourd’hui des vendeurs de roses. Enfin, la prostitution est toujours l’égale de ce qu’elle était dans le temps…

Mais différente solution!

Nommé par le roi, Gabriel Nicolas de La Reynie, était issu d’une famille modeste. Assez rapidement, il est devenu le premier lieutenant de police de l’Histoire. À 42 ans son loyalisme à l’égard du souverain pendant la Fronde et ses qualités en tant que serviteur de l’Etat l’ont fait remarquer de Mazarin, puis de Colbert qui prirent la décision de le suggérer au roi. La sécurité se trouvait en tête des missions que l’édit royal de mars 1667 lui confiait.

Accueillis à coups de pierres et de projectiles aux abords de la Cour des Miracles, La Reynie et ses homme battaient en retraite à trois reprises. Exaspéré devant tant d’insolence, le lieutenant de police décida donc de se rendre en personne sur les lieux - escorté tout de même d’un escadron de sergents à cheval, de soldats du guet à pied, d’une escouade de sapeurs du régiment suisse et d’un commissaire - À l’aide d’un porte-voix, il informa que trois brèches avaient été pratiquées dans les remparts de Charles V entourant la cour afin de permettre aux habitants de fuir dans l’heure. Auteur d’un coup de bluff de génie à ce moment là, il déclara aux misérables qui peuplaient la Cour que les douze derniers qui seraient pris payeraient pour tous les autres - six d’entre eux seraient pendus, les six autres seraient envoyés aux galères- Cette annonce eu l’effet d’une bombe. Dans l’instant, culs-de-jatte et autres paralytiques retrouvèrent, comme par miracle, les moyens de se lever et de courir. Dans les jours qui suivirent, les constructions furent rasées. Très vite après cet événement, les parisiens purent constater d’importants progrès en matière de sécurité. Mais l’amélioration sécuritaire fut éphémère: la crise économique et les disettes de la fin du siècle favorisèrent - à nouveau - l’arrivée de forts contingents de déshérités dans la capitale…

Près d’un siècle plus tard - Le 21 août 1784 - un édit royal ordonna la destruction totale de tous les bâtiments du Fief d’Alby - ou Cour des Miracles - pour y établir un marché des marées. Mais le lieu avait si mauvaise réputation que les mareyeurs refusèrent de s’y installer. Le lieu fut donc investi par les forgerons (d’où le nom de « rue de la Forge ») Cet transformation marqua la fin définitive de « La Cour des Miracles. »

Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que la plupart des personnes dotées d’un minimum d’humanisme pourraient tolérer que les Roms soient chassés hors de Paris aussi brusquement qu’autrefois. En effet, n’en déplaise aux associations qui raffolent de raccourcis historiques et de comparatifs extrêmes douteux, les méthodes de Manuel Valls en matière d’expulsion n’ont absolument rien à voir avec celles du Roi Louis XIV et de La Reynie - qui comprenaient, entre autre, le marquage au fer rouge, la pendaison, les galères, la torture ou encore l’execution sommaire.

Seulement, face à l’inaction du gouvernement actuel, il est probable que les français s’occupent eux-mêmes du problème - comme se fut le cas à Marseille il y a quelques semaines - à l’ancienne…

* Glossaire :

Les Courtauds de Boutange, semi-mendiants qui n’avaient le droit de mendier et de filouter que pendant l’hiver.

Les Capons, chargés de mendier dans les cabarets et dans les lieux publics et de rassemblement ; d’engager les passants au jeu en feignant de perdre leur argent contre quelques camarades à qui ils servaient de compères.

Les Francs-mitoux, qui contrefaisaient les malades, et portaient l’art de se trouver mal dans les rues à un tel degré de perfection, qu’ils trompaient même les médecins qui se présentaient pour les secourir.

Les Hubains. Ils étaient tous porteurs d’un certificat constatant qu’ils avaient été guéris de la rage par l’intercession de saint Hubert, dont la puissance à cet égard était si grande, que, du temps de Henri Etienne, un moine ne craignait pas d’affirmer que si le Saint-Esprit était mordu par un chien enragé, il serait forcé de faire le pèlerinage de Saint-Hubert-des-Ardennes pour être guéri de la rage.

Les Mercandiers. C’étaient ces grands pendards qui allaient d’ordinaire par les rues deux à deux, vêtus d’un bon pourpoint et de mauvaises chausses, criant qu’ils étaient de bons marchands ruinés par les guerres, par le feu, ou par d’autres accidents.

Les Malingreux. C’étaient encore des malades simulés ; ils se disaient hydropiques, ou se couvraient les bras, les jambes et le corps d’ulcères factices. Ils demandaient l’aumône dans les églises, afin, disaient-ils, de réunir la petite somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage qui devait les guérir.

Les Millards. Ils étaient munis d’un grand bissac dans lequel ils mettaient les provisions qu’arrachaient leurs importunités. C’étaient les pourvoyeurs de la société.

Les Marjauds. C’étaient d’autres gueux dont les femmes se décoraient du titre de marquises.

Les Narquois ou Drilles. Ils se recrutaient parmi les soldats, et demandaient, l’épée au côté, une aumône, qu’il pouvait être dangereux de leur refuser.

Les Orphelins. C’étaient de jeunes garçons presque nus, chargés de paraître gelés et de trembler de froid, même en été.

Les Piètres. Ils contrefaisaient les estropiés, et marchaient toujours avec des béquilles.

Les Polissons. Ils marchaient quatre à quatre, vêtus d’un pourpoint, mais sans chemise, avec un chapeau sans fond et une bouteille sur le côté.

Les Rifodés. Ceux-là étaient toujours accompagnés de femmes et d’enfants. Ils portaient un certificat qui attestait que le feu du ciel avait détruit leur maison, leur mobilier, qui, bien entendu, n’avaient jamais existé.

Les Coquillards. C’étaient des pèlerins couverts de coquilles, qui demandaient l’aumône, afin, disaient-ils, de pouvoir continuer leur voyage.

Les Callots étaient des espèces de pèlerins sédentaires, choisis parmi ceux qui avaient de belles chevelures, et qui passaient pour avoir été guéris de la teigne en se rendant à Flavigny, en Bourgogne, où sainte Reine opérait des prodiges.

Les Cagous ou Archi-Suppôts. On donnait ce nom aux professeurs chargés d’enseigner l’argot, et d’instruire les novices dans l’art de couper les bourses, de faire le mouchoir, de créer des plaies factices, etc.

Les Sabouleux. Ces mendiants se roulaient à terre comme s’ils étaient épileptiques, et jetaient de l’écume au moyen d’un morceau de savon qu’ils gardaient dans la bouche

Sources: Historia, blogs historiques, Histoire et recherche des Antiquités de la ville de Paris

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