L’Europe traverse actuellement une zone de turbulence sans précédent dans sa jeune histoire. Alors que la crise économique mondiale va franchir une étape supplémentaire, le système d’alternance bipolaire français a t-il, à l’instar des autres pays européens, atteint ses limites?
Avec pragmatisme et discernement, Lorrain de Saint Affrique - ex conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen - décrypte méthodiquement la situation européenne actuelle et le rôle de la France dans cette union qui se désunie. Sans langue de bois, il évoque également le risque d’implosion du système politique français.
Pensez-vous que la politique économique et européenne de François Hollande s’inscrit dans la droite lignée de celle de son prédécesseur Nicolas Sarkozy?
Non pas vraiment. Il y a des différences entre Hollande et Sarkozy. Les premiers gestes du gouvernement actuel ont été de donner de la visibilité au démantèlement de certaines mesures caractéristiques du quinquennat précédent. Les premiers mois de l’assemblée nationale ont consisté à annuler les dispositions prisent par le gouvernement Sarkozy pour essayer de marquer une forme de rupture. En fait, tout part de l’élection présidentielle elle même. François Hollande a dit très peu de choses dans sa campagne électorale. Les électeurs qui voulaient faire partir Sarkozy l’ont identifié comme le seul candidat capable de verrouiller la défaite de l’autre. Beaucoup de gens ont voté pour François Hollande sans en attendre grand chose – notamment à droite chez les électeurs que Sarkozy a déçu. Je crois qu’il y a une grande part d’hypocrisie aujourd’hui chez les personnes qui reprochent à Hollande ou à Ayrault une certaine forme d’immobilisme. En réalité, la part des électeurs qui ont fait la différence et assuré la victoire de Hollande n’attendait rien d’autre de Hollande si ce n’est de battre Sarkozy.
Et si les français étaient simplement déçus par ce système bipolaire UMPS qui échoue systématiquement?
»Système UMPS, » c’est le vocabulaire exclusif de Marine Le Pen. Elle est la seule à utiliser ce terme. Si en matière économique il y avait une martingale comme pour les joueurs au casino qui permettrait de gagner à tous les coups, ça se saurait. S’il y avait une doctrine économique qui marchait mieux que toutes les autres, tout le monde utiliserait la même. En matière d’économie, il n’y a pas de règle absolue. C’est comme une traversée avec un bateau à voile : il y a des moments où ce n’est pas prudent de sortir toute la voilure. Il y en a d’autres au contraire où il faut profiter du vent. Ça marche en fonction du temps. C’est par définition du pilotage à vue. Un pilote d’avion ne traverse pas un nuage dangereux, il le contourne. Donc non, il n’y a pas de permanence de la doctrine. En matière économique, tout est toujours une question d’adaptation à une période donnée. Et puis, il y a ce qui est structurel.
Le problème ne viendrait-il pas de la Vème République elle-même?
La Veme république pour moi, c’est principalement deux choses : l’election d’un président de la république au suffrage universel et le mode de scrutin uninominal à deux tours qui provoque la bipolarité et qui empêche quasiment toute autre tentative de régime. Aux dernières élections législatives, il y a eu environ 2/3 des électeurs qui ont été vers les partis de type « gouvernementaux. » Les autres se sont tournés vers l’extrême gauche et l’extrême droite. Ce tiers a fait un autre choix et est ensuite exclu de la représentation politique sauf s’il y a des systèmes d’alliance. C’est ça le principe de la Vème, c’est un culte de la majorité absolue au deuxième tour alors que dans les pays anglo-saxons, le suffrage universel à un seul tour permet d’être élu avec une majorité relative comme c’est par exemple le cas en Grande Bretagne ou aux USA – où c’est encore pire car les candidats peuvent perdre en nombre de voix mais gagner au final. La Vème reste la cinquième même si elle a été un peu ébréchée au passage du quinquennat.
Alors, c’est quoi le problème de l’Europe actuelle?
La vraie question en ce moment et soit dans l’intégration européenne, soit dans la rupture. Est-ce que si on passe par la voie parlementaire pour ratifier un texte, ce dernier devient moins légitime que si on le soumet au vote populaire? En fait, tout remonte aux années 1990 avec la chute du mur de Berlin et l’élargissement de l’Europe. Il est probable que dans ce cas là, la rapidité avec laquelle on a voulu élargir l’union aux pays qui dépendaient de l’URSS a complètement déstabilisé la construction européenne et les modes de décision. Il suffit de voir aujourd’hui : à 27, c’est extrêmement compliqué. On voit bien qu’il y a une paralysie des institutions européennes… Or, quand ces dernières sont paralysées, c’est une bureaucratie qui fait le travail à la place. On a connu une situation similaire en France avec la IVème république –qui a mauvaise réputation à cause de l’instabilité des gouvernements en place. Sauf qu’il y avait une permanence : en réalité, la fonction publique remplaçait la politique. À l’échelle de l’Europe, c’est un peu la même chose. Quand les institutions politiques ne fonctionnent plus, les fonctionnaires deviennent ce qu’il y a de plus légitime automatiquement. Cependant, cela ne signifie pas que les fonctionnaires sont les plus incompétents. Simplement, ça ouvre des brèches à toutes les attitudes populistes. C’est toujours facile de dénoncer ça. Or, notre monde actuel est tellement complexe qu’il est impossible de comprendre tous les rouages du système – y compris pour des « spécialistes »- En 2005 – au moment du référendum – c’était la même chose : personne n’avait une compréhension totale et globale du texte. Donc finalement, on se prononce au sujet de quelque chose de conjoncturel, de confidentiel et finalement, de sentimental. Seulement quand on entre dans le sentimental en matière électorale – autrement dit l’angoisse qu’on ressent par rapport à une perte d’identité éventuelle - on fait n’importe quoi. Ce qui s’oppose le plus à la pérennité institutionnelle, c’est la complexité du monde. Personne n’y comprend rien. Comme avec l’histoire des subprimes. Quand même les plus grands experts ne comprennent plus les mécanismes du système, ça donne ce que le monde a vécu en 2008. Il y a donc là un problème mondial de perte de contrôle des instruments qui échappe à l’homme. La dictature des algorithmes n’est comprise par personne.
Pensez-vous que la France puisse se retrouver un jour dans la situation économique de la Grèce ou de l’Espagne?
Oui bien sur que c’est possible. Il suffit de voir ce qu’a provoqué la simple chute d’une grande banque – Lehman Brothers - à l’echelle planétaire. Cela a causé une onde de choc qui a traversé la planète et dont on n’est pas encore sorti. C’est la créature qui a échappé à son créateur. En fait, aucune banque ne sait véritablement ce qu’elle a de toxique parmi ses actifs malgré ce qu’affirme la politique de communication faite pour rassurer les clients.
Actuellement, la plupart des pays européens vivent sur leurs ressources pendant un semestre et font de l’emprunt sur les marchés financiers le deuxième semestre. Est-ce qu’on peut revenir en arrière – c’est à dire supprimer l’euro et revenir à des banques centrales qui prêtent à taux zéro à leurs Etats respectifs – comme l’a affirmé Marine Le Pen…. Je crois que ce n’était qu’une posture électorale. Mélenchon à l’époque de Maastrich avait voté pour, même s’il a depuis affirmé regretter ce choix…
En 1986, à l’époque où le Front National avait un groupe parlementaire la première étape de la construction de la monnaie unique c’était le vote sur le marché unique européen. Or, le groupe FN n’a pas voté contre, il s’est simplement abstenu car il y avait à l’intérieur du parti des gens qui pensaient qu’il ne fallait pas bloquer la construction européenne. Par exemple Bruno Megret et son entourage de l’époque n’étaient pas du tout hostiles à cette construction européenne. Cette division interne s’est terminée par une abstention du groupe.
La solution à cette France en crise peut-elle venir de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen?
La thèse – car ils ont des thèses cousines - de l’un comme l’autre se résume à considérer que plutôt que d’attendre la catastrophe, il faudrait anticiper et entamer des négociations de sortie de l’euro avec nos partenaires plutôt que d’attendre que cela se produise dans le chaos. Seulement je ne vois pas qui aujourd’hui pourrait aller, intellectuellement et avec une capacité d’incarnation du message politique, sur une telle ligne.
Pensez-vous qu’une sortie de la France de la zone euro soit envisageable?
En fait, je n’y crois pas une minute car on peut certes imaginer beaucoup de choses au sujet de la restructuration des institutions européennes, la possibilité d’une sortie de la zone euro, ou peut-être même, aller jusqu’à restreindre le nombre de pays membres, notamment à l’echelle de la France et de l’Allemagne qui sont le cœur du sujet. Il n’y a pas d’autre solution que d’aller dans le sens d’une convergence extrêmement forte. Rncore faut-il qu’elle soit voulue des deux côtés. Les français sont, selon moi, plus réceptifs à cette idée de couple franco-germanique que ne le sont les allemands qui vivent avec cette impression de devoir payer pour tout le monde, qui produisent de la richesse et qu’on leur retire d’une manière injuste . Sauf que la vérité c’est que tout le monde a payé pour le poids de la réunification allemande. Il faut savoir que l’essentiel des excédents commerciaux de l’Allemagne viennent de la zone euro. Le fait qu’il y ait eu deux Allemagne à une époque à quand même été voulu par le gouvernement Allemand. Aucun autre pays européen n’a voulu cette situation. Personne n’a jamais dit que la France, l’Angleterre ou la Russie avaient déclenché la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, les allemands sont amenés à rembourser une partie de leur dette qui date de l’époque où l’Europe a financé leur réunification.
Ce qui m’inquiète c’est de voir que les opinions publiques deviennent très étanches en ce moment. Je ne crois pas qu’en France il y ait une quelconque audience au sujet de l’opinion allemande et inversement. Je suis sur cette ligne qui dit que l’on fait trop de sociétal et pas assez de république, qui est une ligne de gauche. La république, c’est quelque chose de volontariste. C’est un régime fort. Ce n’est pas une démocratie molle. En fait, je pense que l’Europe n’est pas suffisamment républicaine.
Par quoi passe donc cette Europe de demain?
L’Europe de demain passe sans doute par l’axe Paris-Berlin-Moscou. C’est de ce côté là qu’il faut regarder prioritairement. Je ne crois pas du tout à une France qui aurait un chemin comparable à celui de la Corée du Sud –qui cependant s’en sort très bien-
La chute annoncée de l’empire américain peut-elle précipiter la France et l’Europe dans le marasme économique?
Il y a un rapport direct entre les résultats économiques américains et ce qui ce passe ici dans l’hexagone. S’il devait y avoir un effondrement global, ça serait terrible. Il suffit de voir ce qu’a provoqué la faillite d’une banque…Donc si on fait une croix sur l’euro, on est parti pour vingt-cinq ans de misère! Et ce n’est pas du côté du bureau politique du FN que sortira le nouveau Bonaparte. Je n’ai pas l’impression non plus qu’ils soient mieux lotis du côté du Front de Gauche. L’impression que donne aujourd’hui la politique française, c’est une faiblesse intellectuelle généralisée. Personne ne porte véritablement un message qui puisse permettre aux gens de croire en l’avenir. On est face à un déficit de pédagogie car les politiques n’y comprennent rien et ne savent pas eux-mêmes.
Une solution peut-elle venir d’un parti situé hors de l’axe central UMPS ?
Que Marine Le Pen puisse déclencher la Saint Barthélémy, c’est possible. Qu’elle soit devenue Catherine de Medicis en quinze ans, je le crois moins. Il faut bien comprendre que la révolution, c’est créatif. Il émergerait donc certainement de la société des Danton ou des Robespierre en cas de révolte… Mais en attendant, la seule personne qui, du côté du Front National, s’est faite remarquer à un niveau de qualité intéressant, c’est Florian Philipot, qui est cependant un homme de gauche. C’est un chevènementiste tout à fait classique. La plupart des inflexions qui ont été donné au Front National depuis qu’il est là, et qu’on attribue à Marine Le Pen, s’inscrivent dans une ligne de gauche. L’interventionnisme d’Etat par exemple est en rupture totale avec le libéralisme frénétique du Front National de l’époque Le Pen des années 1980, à savoir le Reagan français. Après, il rajoute certaines thématiques propres au Front National comme l’immigration, l’insécurité ou la dénonciation des lois mémorielles de manière à ne pas inquiéter les gens à l’intérieur de la boutique.
Ce modèle bipolaire risque-il de s’essouffler?
Si je répondais non, cela signifierait qu’il n’y aurait pas d’espoir. Mais si un changement se produit, cela viendra d’un « des deux bouts - du spectre politique, et non du centre. L’UDI est peut-être un projet crédible et cohérent dans une perspective électorale avec les municipales en perspective. Jean-Louis Borloo a relativement bien calculé ce coup politique. Et puis, je pense que l’UMP ne peut pas fonctionner car il y a toujours eu deux droites distinctes. On est en France, pas aux Etats-Unis. Là bas, tous les extrêmes sont gérés à l’intérieur des deux blocs.
Peut-on imaginer une possible révolution ?
C’est possible mais par définition, une révolution c’est créatif. On ne peut pas scénariser. Et puis, on y est peut-être déjà en réalité. Ça a peut être commencé depuis quelques années. J’ai l’impression que depuis la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002, quelque chose s’est mis en route. Mais cela peut s’étaler sur quinze ou vingt ans alors qu’on parle de la même chose. À titre comparatif, la révolution française n’a pas commencé en 1789. Les historiens ont trouvé des traces vingt ou trente ans avant les faits… Mais effectivement, ce n’est pas impossible d’imaginer un scénario par ricoché où, avec l’Espagne ou l’Italie qui s’effondrent, toutes les banques françaises fermeraient et plongeraient le pays dans le chaos.
Seulement, je ne fais pas partie des gens qui souhaitent ce scénario car il y a toujours des épisodes très déplaisants dans toutes les révolutions. Par exemple, la situation sociale du peuple français dans son état actuel fait qu’aujourd’hui, une révolution serait beaucoup plus dangereuse qu’elle ne l’aurait été dans les années 1980. L’exemple de 2005 est assez significatif. À partir d’un simple fait divers, des violences urbaines ont éclaté – chose que le pays n’avait pas connu depuis la guerre d’Algérie en terme d’intensité. Et puis, les violences se sont arrêtées avec les premiers froids. Mais parfois, le froid de l’hiver ne suffit pas à calmer les ardeurs révolutionnaires…
La spéculation financière n’est-elle pas le vrai danger d’une crise globale ?
Il n’y a pas de correspondance entre les flux financiers qui irriguent le système et la véritable économie. Or, dès que la machine s’enraye, ça renvoie le monde à sa réalité. Il apparaît que les ressources réelles sont insuffisantes pour satisfaire tout le monde. Donc concrètement, on est assis sur une poudrière.
Au fond je pense que tout a commencé à déraper en 1972 quand Richard Nixon a changé la règle monétaire en instaurant la non convertibilité du dollar…
Et cette fameuse loi de 1973 alors ?
Même si cette loi est une erreur de l’époque, il faut comprendre qu’aujourd’hui, nous sommes dans ses conséquences. Ce n’est pas parce qu’on annulerait cette loi qu’on annulerait entre temps les effets qu’elle a eu au niveau de l’économie française.
En toute franchise, un isolement brutal de la France qui consisterait à quitter l’euro, à ré-instaurer la Banque de France et à imprimer des francs est complètement irréaliste. Le France perdrait automatiquement 30 % par rapport à l’euro et provoquerait donc la ruine de tous les épargnants – contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen – Au niveau actuel d’endettement de la France, c’est irréalisable à moins de déclarer que le pays ne rembourse rien. Seulement, cela ne s’est produit qu’une seule fois dans l’histoire: c’était sous le directoire et cela s’est terminé par les guerres napoléoniennes. Mais a-t-on les moyens actuellement, avec notre petite armée, de se lancer dans une grande opération européenne pour aller libérer les autres pays avec Marine Le Pen à la tête du cortège ?
Si vraiment elle était Napoléon Bonaparte, je vous assure que je m’en serais aperçu il y a quelques années… S’il fallait choisir un personnage de l’Empire pour la décrire, je pencherais plutôt pour Madame Sans-Gêne qui est un personnage historique tout à fait sympathique à condition de ne pas la sortir partout…
Au final, c’est quoi la solution ?
Si le problème est français alors, la solution doit être française. Pourquoi pas quelque chose de type « soulèvement populaire », une sorte de mai 1968 réussi, où les français chasseraient les traders… Ou alors, il pourrait y avoir un système d’alliance entre l’UMP et le FN – comme ce qui s’est passé en 1983 à Dreux avec Jean-Pierre Stirbois…
Honnêtement, je ne crois pas que François Hollande réussira à négocier avec les allemands… Nicolas Sarkozy aurait peut-être pu y arriver car son caractère s’y prêtait mieux mais d’autres facteurs, comme ses erreurs personnelles, ont fait que ces négociations n’ont jamais abouti. Or, si les marchés européens s’effondrent, l’Allemagne perd quasiment toutes ces exportations et les chinois ne combleront pas le manque! À l’époque de la construction européenne, il y a eu une idée qui consistait à donner aux pays une spécialisation propre et ce, dans un souci d’harmonisation au sein de l’Europe. La solution serait d’avoir absolument une Europe à plusieurs vitesses, calée sur le couple franco-allemand.








Laisser un commentaire