La neutralité est peut-être une question de point de vue. Une photographe expose des «martyrs» palestiniens et fait face aux détracteurs qui veulent la censure de cette «apologie du terrorisme». Il est temps de plonger le papier dans le révélateur pour savoir qui gagne la palme de la mauvaise foi.
A gauche: Toile représentant le martyr Kayed Abu Mustafa dans le salon familial
A droite: Naplouse: sit-in pour soutenir la grève de la faim entreprise par des Palestiniens
Le dernier rapport du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) signalait la présence de 45,2 millions de «déracinés» (personnes devant fuir leur terre d’origine à cause de persécutions ou d’un conflit) dans le monde en 2012. L’expo photo de la Palestinienne Ahlam Shibli autour du thème «foyer perdu» aurait pu être l’occasion d’éveiller les consciences. C’eût été sans compter sur la polémique qui en a découlé.
Zoom sur cette artiste photographe née en 1970 en Palestine, Ahlam Shibli, qui souhaite communiquer, à travers ses clichés, la «réalité» du quotidien des Palestiniens. Un point de vue qui passe mal pour le Crif et autres visiteurs pro-israéliens, qui dénoncent une «apologie du terrorisme». Ils en réclament la censure pure et simple.
Un objectif obsessionnel
Du point de vue artistique, l’angle de prise de vue est en général assez basique. Une esthétique de l’ordinaire est à l’honneur, sans profondeur de champ. On est plongé au cœur de ces foyers, dans une atmosphère étouffante, ou encore dans ces rues, où il suffit de lever la tête pour être confronté à l’omniprésence du souvenir des «martyrs» morts. Un visiteur me confie que «bien sûr le sujet me touche, mais ces photographies sont dures, on y voit un amoncellement d’armes, sans pour autant me faire ressentir quoi que ce soi ». On est dérouté par cette série quasi «obsessionnelle». Pour mieux comprendre cet adjectif, il suffit de voir une série de photographies des tombes de ces martyrs ou de ces affiches en leur honneur. Le but est-il ne nous rendre compte, par une mise en abyme, de l’omniprésence obsessionnelle des morts parmi les vivants? Pourquoi ne pas avoir directement tapissé les murs de réelles affiches pour en optimiser l’impact alors?
Un message resté dans la chambre noire
En réalité, les intentions de la photographe demeurent confuses pour le citoyen lambda qui semble bien avoir besoin d’une mise au point. «Je ne saisis pas bien le message qu’elle veut faire passer. Elle se décharge de toute implication, mais ses explications sont chargées du mot «martyr» pour désigner les Palestiniens morts lors d’attentats», m’explique une dame après avoir scruté soigneusement la série de photos Death. Et c’est vrai que la situation est assez paradoxale. Lorsque l’on rentre dans la salle d’exposition, on est accueillis par un message qui ne pourrait être plus clair: «Afin d’éviter tout malentendu, le Jeu de Paume souhaite préciser que l’artiste présente un travail sur les images qui ne constitue ni de la propagande, ni une apologie du terrorisme, comme Ahlam Shibli l’explique elle-même : «Je ne suis pas une militante. Mon travail est de montrer, pas de dénoncer, ni de juger».»
L’étonnement est grand alors lorsque l’on lit les légendes des premiers clichés de la série Trackers, à propos des Palestiniens d’origine bédouine qui servent en tant que volontaires dans l’armée israélienne : «Ce projet s’interroge sur le prix qu’une minorité colonisée est obligée de payer à une majorité composée de colons (…)». Ou encore le défilé des clichés de gamins errants en chaussettes à même le sol, et de femmes en l’attente de leur «héros». Mais le pathos atteint son paroxysme lorsque l’on passe à la série Dom Dziecka, qui met en scène ces enfants palestiniens, obligés de vivre loin de leurs familles dans des foyers en Pologne.
Un thème récurrent, parfois abordé de façon caricaturale, est omniprésent: le manque d’espace. Aussi, on peut voir trois gamines partageant une même chaise, des parents palestiniens rendant visite, à même le sol, à leurs enfants et leurs apportant de quoi manger; un jeune palestinien, le dernier à monter dans le bus scolaire, des enfants en train de nettoyer le foyer eux-mêmes, deux fillettes lisant un même bouquin à deux quand leur seule distraction ne se résume pas à l’écran de télévision. Il est clair que le côté «ghetto» de la bande de Gaza, où environ 1,7 million de Palestiniens vivent sur 360 km2, veut être dénoncé. Comment peut-on alors aborder le sujet d’un tel angle et prétendre être «neutre» ?
A la recherche d’un «autofocus», nous nous sommes adressés à la personne la plus apte pour répondre à ces flous, l’artiste Ahlam Shibli qui, au dernier moment, a refusé de nous expliquer clairement son message. Impossible donc de dissiper le brouillard qui plane sur les intentions de cette dernière, et qui au lieu de combler les fissures polémiques de cette exposition, ne fait que les amplifier.
Un angle de prise de vue en surexposition
Le papier glacé passe mal. La directrice du musée du Jeu de Paume, Marta Gili, a déploré avoir déjà subi ces derniers jours deux alertes à la bombe, avec les évacuations et l’intervention de la police qui s’ensuivent. Le 16 juin, des perturbateurs avec des drapeaux israéliens avaient déjà tenté de s’introduire, par la force, sur les lieux. Sans oublier les «200 appels téléphoniques» de menaces ou d’insultes reçus entre les 6 et 7 juin. Un grabuge qui a forcé la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, à réclamer des éclaircissements de la part du musée, en lui conseillant de prendre ses distance avec les mots de l’artiste. En somme, un faible soutien, et un sacrifice à demi-mot de la liberté culturelle.
La directrice du Jeu de Paume doit alors mener sa barque en solo, en soulignant le fait que l’exposition avait été accueillie quelques mois plus tôt au MACBA de Barcelone (Musée d’art contemporain), sans rencontrer aucun problème. De plus, avant même que ne commence l’exposition et la polémique qui en a découlé, l’artiste avait anticipé les remarques des rétracteurs: «Je ne mets pas mes opinions dans mon travail. J’essaie de mettre en lumière des situations». Elle aurait également évoqué les auteurs des attentats suicides qui se font exploser «pour assassiner des Israéliens». Un assassinat étant un acte volontaire, elle reconnaîtrait donc en ce sens une certaine préméditation dans les actes des Palestiniens: un paradoxe de plus dans sa prise de position.
Il faut donc reconnaître que même si le désir de censure n’est pas concevable, l’artiste devrait se décider à assumer pleinement son art et veiller à ce que son message soit clair auprès des visiteurs. Car quitte à défendre la liberté de création, autant être capable d’affirmer distinctement ses positions politiques et artistiques, plutôt que de refuser toute intervention en se réfugiant derrière un simpliste dossier de presse.
Enfin, comme s’il fallait faire écho à cet épisode pour le moins désolant, l’art a été une fois de plus mis à l’épreuve ces derniers jours, une série d’œuvres ayant été vandalisées contre des individus homophobes. Dans ce cas, «La création d’Adam» de Michel Ange prônerait aussi l’homosexualité… alors? A brûler? Peut-être serait-il temps de rappeler aux Français ce en quoi consiste l’Art si l’on ne veut pas atteindre le paroxysme du ridicule. Oui, parce qu’au XXIème siècle, on se délecte de créations douteuses, tant que ça n’a pas de sens et que surtout, cela ne mène à aucune réflexion que ce soit. Alors vive le Gangnam style et au bûcher tout œuvre qui oserait mettre le doigt sur un sujet fâcheux…ou pas.







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