Culture

Elis Regina, une voix du peuple

Bruna Fernandez 15/07/2013 0
Elle n’est pas très connue par le grand public en France, et pourtant dieu sait qu’elle était populaire.

regina elis 515058c631a9c Elis Regina, une voix du peuple

Elle c’est Elis Regina, une des plus grandes chanteuses brésiliennes qui a eu son heure gloire dans les années 1960 et 1970 au Brésil, mais elle est morte trop tôt, d’une overdose de cocaïne en 1982. Chanteuse engagée, la « tornade », comme elle était appelée dans le milieu, chantait des paroles d’espoir pour un Brésil meilleur et a vivement critiqué la dictature militaire en place ses années la.

Plus de 30 ans après sa mort, les rêves d’Elis Regina pour un Brésil plus juste restent d’actualité

Si le pays est désormais la 6ème puissance mondiale et jouit d’une économie prospère, la corruption dans la caste politique et la mauvaise répartition de l’argent du contribuable n’offrent pas encore les infrastructures publiques de qualité aux Brésiliens. Ecoles, hôpitaux, transports, sécurité, tout est à revoir. Symbole ultime, la Coupe du Monde en 2014, pour laquelle des milliards de reals (monnaie brésilienne) ont été investis dans les stades, et ont causé l’expulsion de centaines de Brésiliens de chez eux, toujours dans l’attente du logement social qui leur avait été promis. Un évènement qui attire les foules de touristes, et les investisseurs ? Certes. Mais le pays du football a oublié les « reformas » qui en portugais veut dire travaux, dont son peuple travailleur, a besoin.

Petite goûte d’eau qui a fait déborder un énorme vase, le prix du bus relevé de 20 centimesdans la plupart des grandes villes, alors qu’il avait sans cesse augmenté en fonction de l’inflation. Encore un argent sans retour. Les véhicules sont vétustes, pas toujours aux normes et pas assez nombreux. Arrivée à saturation, la population brésilienne, et en particulier les jeunes étudiants, se sont alors mis à manifester massivement depuis le mois de juin. Un mouvement exceptionnel rassemblant des dizaines de milliers de gens dans les grandes et moyennes villes du pays. Une contestation que l’on avait pas vu depuis 20 ans. Dans la rue, beaucoup entonnent encore quelques unes des chansons mythiques d’Elis Regina, pour se donner de l’espoir.

manifestante Elis Regina, une voix du peuple

Luiza, brésilienne, musicienne, et mère de famille qui habite en France depuis 11 ans, se rappelle de sa lutte dans les années 1980 pour les éléctions directes : « A l’époque, nous les jeunes, on revendiquait le droit de voter pour choisir notre président. Aujourdh’hui le Brésil, guidé par sa jeunesse, mais dans un mouvement pris par toutes les générations, dans un ras-le-bol général, se réveille encore. Ce mouvement baptisé « O gigante acordou » (le géant s’est réveillé) me rempli de fierté. Car il était temps que les fils de la démocratie, pour laquelle j’ai luté, se lèvent à nouveau contre la corruption et les mauvaises conditions de sécurité, éducation, transports, santé. Surtout à cause de la corruption généralisée.« 

Mais là encore, déception des brésiliens. Des policiers mal préparés ont violamment riposté les manifestants en majorité pacifiques, au lieu de se concentrer sur la minorité de casseurs. Des étudiants qui chantent tranquillement sont repoussés par du gaz lacrymogène et des coups de matraque. Des journalistes voient leurs téléphones se faire détruire, des balles en caoutchouc les blessent violemment au visage. On parle de fausse démocratie, de dictature déguisée. Exagéré,soit, dans un pays où la (critiquée) présidente, Dilma Rousseff, a été élue aux élections au suffrage universel et a justement combattu la dictature dans sa jeunesse. Mais on ne peut s’empêcher de penser à Elis Regina et ses compatriotes de l’époque, à qui on interdisait de contester le régime. L’histoire est récente et les cicatrices sont encore vives.

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Elis Regina fait partie d’une génération prodigieuse pour la culture Brésilienne. Une incroyable verve créative a permis aux musiciens brésiliens de l’époque de toucher à la fois les plus intellectuels comme les plus pauvres. Leur musique parle d’amour, de joie, de tristesse, et surtout, elle parle du Brésil. De sa voix puissante et de tout son charisme, Elis séduit les plus grands. Après avoir gagné un concours de chant en 1964 avec la chanson Arrastão, elle s’impose comme la plus grande chanteuse brésilienne de bossa nova. Gilberto Gil, Tom Jobim, Chico Buarque, Caetano Velozo, tous les grands de la musique populaire brésilienne travaillent avec elle. Dans le milieu, en plus d’un « ouragan » elle est aussi sûrnommée « pimentinha » soit un « petit piment » à cause de son perfectionnisme dans le travail, et les petits moments de surchauffe qui venaient avec. Jenny Bel’Air, grande dame de la nuit parisienne, connait la vie et les chansons d’Elis Regina sur le bout des doigts. Selon elle, « Elis avait une voix incroyable, et une présence, qui m’a subjuguée. Elle pouvait chanter aussi bien l’amour que la mort avec la même authenticité. Mais sa carrière était éminemment politique. C’était une femme très engagée, dés le départ dans la dénonciation des problèmes sociaux du Brésil. En fait musicalement comme dans la vie, elle était en avance sur son temps.« 

Alors que beaucoup de musiciens de sa génération sont persécutés par le régime et poussés à l’exil le plus souvent en Europe, Elis Regina ne quitte pas sa terre natale. « On lui reproche d’être restée au Brésil malgré tout, de pas avoir été solidaire« , raconte Jenny. « C’est paradoxal, parce qu’elle a continué de contester le pouvoir à travers ses chansons. » Même la mort d’Elis Regina fut polémique. Cette femme dont le large sourire était connu de tous se serait détruite elle même, par la drogue, comme beaucoup d’autres. Certains pensent pourtant encore que ce furent les « gorilles » de la dictature, comme elle les avait appelés, qui s’étaient chargés de la passer sous silence. Impossible pourtant, d’éteindre le son de la voix de cette mère de trois enfants qui a tant chanté pour son pays.

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A chaque repas en famille le dimanche, a chaque feu de camp, les chansons d’Elis Regina reviennent comme des hymnes, pour donner des frissons à ces brésiliens si patriotes, qui aspirent à mieux. Et à chaque instant, fleurissent sur internet des vidéos des manifestations montées sur de vielles chansons qui contestaient la dictature ou parlaient tout simplement du Brésil tel qu’il était, tel qu’il est. Pour Luiza, « La musique brésilienne a été souvent engagée politiquement. Dans les années 1960 la musique populaire était de très bonne qualité, et ma génération a été très inspiré par ça. Actuellement, la musique qui touche la majorité a souffert une influence américaine très forte et associée à la culture des ghettos brésiliens, elle a perdu en qualité. Heureusement des bons chanteurs, inspirés par les anciens, comme Marisa Monte, Maria Rita (la fille d’Elis) et un nombre infini d’artistes de qualité, des rappeurs et des groupes de rock, continuent d’avoir leur place.« 

Si long-temps après, « la tornade » inspire donc encore la musique Brésilienne. Elle est aussi la muse de la ferveur qui anime les manifestants. Par manque d’une personnalité forte et fédératrice, on fait appel aux légendes. Pour Jenny, « c‘est une dame qui était la voix du peuple, qui a assumé par sa force toute l’importance d’une époque ». Si elle avait de notre époque, en 2013, voyant son peuple défendre ses droits, elle aurait fait ce qu’elle a toujours fait : monter sur scène d’un air déterminé et leur insuffler du courage.

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